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Avant-Propos 175 Les aménagements hydrauliques 175 CHAPITRE V. Les aménagements hydrauliques Bernard GEYER et Jean-Yves MONCHAMBERT La quasi-totalité des activités dans la vallée de l’Euphrate est commandée par le fleuve. Il représente simultanément l’unique ressource en eau douce pérenne et l’agent essentiel de la morphogenèse. Dispensateur de richesses et cause de désastres, il convenait donc, dans la mesure du possible, de le domestiquer. Il fallait en tout cas composer avec lui, se mettre à l’abri de ses fureurs et profiter ainsi au mieux de ses bienfaits. Durant certaines époques — l’âge du Bronze, l’époque néo-assyrienne ou encore l’époque islamique — l’homme a su remodeler la vallée de telle manière qu’elle put être mise en valeur sur une grande échelle : on peut, pour ces périodes fastes et dans le cadre spécifique de la vallée, évoquer la notion de « monde plein ». Alimentation en eau, irrigation, navigation et transport, telles ont été les principales contributions du fleuve. L’essentiel des aménagements repérés dans la vallée et ses abords apparaissent destinés à l’irrigation. À partir de quand celle-ci y fut-elle pratiquée ? Les premières tentatives pourraient avoir été faites dès l’époque de Halaf , mais il ne s’agissait probablement que de petite irrigation, pratiquée avec des moyens limités qui n’ont laissé ni traces, ni vestiges. La grande irrigation, qui nécessite des techniques élaborées et des moyens importants, ne peut guère avoir été mise en œuvre avant les débuts de l’âge du Bronze lorsque se constituèrent des « cités -États » et que se développa , notamment, le royaume de Mari. Petite et grande irrigations ont certainement coexisté, au moins temporairement. La première, facile à mettre en œuvre par l’intermédiaire d’aménagements hydro-agricoles légers ( , , , etc.) n’a probablement jamais totalement disparu, puisqu’elle a été pratiquée, non seulement par les sédentaires , mais également par les nomades 2, lesquels se procuraient ainsi un complément de produits alimentaires indispensable à leur survie. Les traces que ces aménagements auraient pu laisser ont été totalement effacées de la surface du sol. La pratique de la petite irrigation n’est donc guère détectable dans le cadre d’une prospection : nous ne l’aborderons pas ici. En revanche, la grande irrigation et, de manière plus générale, la mise en valeur agricole à grande échelle laissent des traces multiformes qui sont souvent encore interprétables. Cependant, les conditions de la mise en valeur en rive gauche et en rive droite ne sont pas identiques 3. La première se révèle par nature propice à la petite irrigation, avec des terroirs souvent fractionnés par des pointements de la formation QII et une largeur généralement restreinte, facteurs qui ont pour conséquences d’assurer un drainage plus efficace qu’en rive droite et donc de diminuer les risques de salinisation des sols. C’est sur cette rive orientale que se concentra l’essentiel du peuplement durant les époques de moindre occupation ou lorsque ne furent pas mis en œuvre de très gros aménagements hydro-agricoles, mieux adaptés aux larges terrasses de la rive droite. Seules les périodes ayant connu des efforts de mise en valeur exceptionnels, comme le Bronze ancien, le Bronze moyen ou l’époque islamique ont vu le peuplement se répartir de manière plus équilibrée dans l’ensemble de la vallée. Nous évoquerons, dans ce chapitre, les différents types d’aménagements que nous avons pu rencontrer, des plus imposants — les canaux — aux plus discrets — les norias ou les —, en passant par les plus fréquemment décrits — les barrages. 1 - Cf. chap. VI, p. $$. 2 - CHARLES 1939, D’HONT 1994. 3 - Cf. chap. II, p . $$. 4 - Plusieurs publications ont déjà agricoles de la vallée, en particulier GEYER et MONCHAMBERT 1983, 1987 b. On se reportera aussi à BERTHIER et D’HONT 1994 ; DURAND 1990 a, 1998 ; GEYER 1984, 1985, 1990 a, 1995 ; GEYER et MONCHAMBERT 1989 ; LAFONT 1992 ; MARGUERON 1991 b, 1998 b. 1 chadouf nasba gharraf concerné les aménagements hydro- a priori qants LES CANAUX La prospection a révélé un système d’aménagements complexe et ingénieux, comprenant entre autres une série de canaux, différemment conçus selon leur fonction (fig . 1) et qui permettaient une mise en valeur maximale de la vallée 4. L’alimentation en eau des villes, celle des vastes périmètres d’irrigation par des canaux gravitaires, le drainage et la navigation furent ainsi habilement assurés par ces ouvrages imposants. 176 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Type 1. Canal d’amenée d’eau (canal de Mari) NE SO 8m 7 Tell Hariri-Mari 6 5 ville basse 4 chenal 3 2 1 0 0 50 100 150 200 250 300 m Type 2. Canal d’irrigation (canal principal d’irrigation) ENE OSO digue digue 6m 5 chenal 4 3 2 1 0 0 50 100 150 200 250 300 m Type 3. Canal d’évacuation des eaux (canal périphérique de rive droite) NE SO 45 m 44 plateau 6 5 terrasse holocène glacis chenal 4 3 2 1 0 0 50 100 150 200 250 300 m niveau moyen actuel de la terrasse alluviale Type 4. Canal de navigation ? (Nahr Dawrin) Nahr Dawrin 25 m 20 15 10 5 plateau de Jézireh 0 100 Fig glacis 200 300 400 terrasse holocène 500 600 700 m . 1 - Les différents types de canaux repérés dans la vallée de l’Euphrate. 800 m Avant-Propos Les aménagements hydrauliques LES CANAUX D’AMENÉE D’EAU Nous avons évoqué les dangers — sapements latéraux engendrés par la force érosive du flot et destructions dues à la violence des débordements — que couraient les installations humaines lorsqu’elles étaient situées à proximité immédiate du fleuve. Seuls les bourrelets de rive et, plus encore, les môles-butoirs offraient un minimum de sécurité. Mais leur taille, toujours restreinte 5, ne permettait guère aux agglomérations de se développer sans risque. Une cité pouvait certes s ’ étendre peu à peu en profitant de l’accumulation des déchets qu’elle générait pour rester hors de portée des crues, mais cette expansion ne pouvait qu’être lente. La fondation d’une ville, ex nihilo, n’était envisageable qu’à l’écart du fleuve, sur les surfaces planes et vastes proposées par les terrasses alluviales ou les plateaux : tel fut le cas notamment de Mari et de Doura-Europos. Dans ces cas se posait le problème crucial de l’accès à l’eau. Le canal de Mari Le problème posé par l’alimentation en eau de la cité de Mari, dont le centre (restitué) était à un peu plus d’1 km du plus proche méandre (cf. chap. IV, fig . 1 8), semble avoir été résolu, sans doute dès la fondation de la ville, grâce à l’aménagement d’un canal d’adduction. Long de près de 4,5 km, creusé dans la terrasse Q0a 6, il conduisait l’eau depuis un méandre situé à 2 km en amont du site, traversait ensuite ce dernier avant de rejoindre un autre méandre au sud-est. La prise d’eau Nous ne savons rien de l’aménagement de prise, détruit par le flot ou masqué par les alluvions. Seuls le modelé de la terrasse, à son emplacement supposé, et le dessin du tracé du canal nous permettent de dire que la prise se faisait dans la concavité d ’un méandre aujourd ’hui abandonné et partiellement comblé. Le choix de l’emplacement était judicieux puisqu’un môle-butoir, sur lequel est d’ailleurs venu s’implanter un des hameaux actuels d’Es Saiyl, bloquait, non loin en aval, le développement du méandre, assurant ainsi la pérennité de l’ouvrage. Le tracé Le canal s’éloignait du fleuve quasiment à angle droit, puis, par une large courbure, s’orientait vers le sud-est, en direction de la cité. Seule cette section amont, courbe, est encore relativement bien conservée et parfaitement visible 5 - Quelques exceptions existent : ainsi, à Buseire (77 55), lieu hautement stratégique de la confluence de l ’Euphrate et du Khb‚r , la bonne conservation de la formation QII a permis, à plusieurs reprises dans l’histoire, le développement de cités importantes : Korsoté/Circesium/Qarq¬siyya-alHb‚r (cf. chap. IV). 177 177 dans le paysage très plat du fond de vallée. Le chenal d’écoulement, raccordé au lit de l’Euphrate, fragilisé par son encaissement important dans la terrasse, était protégé par de puissantes digues, qui s’élèvent encore de près d’1 m audessus de la surface actuelle de la terrasse. L’envergure de l’aménagement, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, érodé et « fondu » , est de l ’ordre de 200 m (f i g . 2 a). Ces dimensions impressionnantes ne pouvaient être dues qu’à l’impérieuse nécessité de protéger la voie d’eau contre des inondations auxquelles elle était potentiellement exposée de plein fouet. Plus à l’aval, une fois sorti de sa courbure, le canal n’est plus visible que par une trace en faible creux, qui s’observe très bien après les pluies 7. Le mauvais état de conservation de ce segment s’explique par le fait que, depuis son abandon, il a canalisé les flots lors des inondations, jouant le rôle d’évacuateur des eaux de crue. Il est cependant facilement discernable lors de sa traversée du site de Tell Hariri (fig . 3), où sa largeur — plus de 30 m — (fig . 2 b) est de toute évidence exagérée par l’érosion de ses berges lors des épisodes de crue. Le débouché Son débouché dans un ancien méandre situé à quelques centaines de mètres au sud-est du tell ne fait guère de doute. Le canal, toujours creusé (1 m environ) dans la terrasse, traverse la levée de berge du méandre, large de 35 à 40 m, par une percée d’environ 26 m de large, dont on ne conçoit pas qu’elle puisse être naturelle (fig . 4). De part et d’autre de l’ouverture, les berges sont surmontées de remblais, hauts encore de 0 , 8 m environ (f i g . 2 c) , qui proviennent probablement des curages du chenal , sinon de son creusement initial. Fonction du canal et datation Il est peu probable que la fonction première de ce canal, creusé sur toute sa longueur dans les alluvions de la terrasse holocène ancienne, ait été l’irrigation. Même si l’on admet, sans grand risque de se tromper, que des machines élévatoires simples , comme le chadouf , devaient exister et être couramment utilisées pour pratiquer une petite irrigation sur les berges du fleuve, aucune machine complexe (gharraf, noria) n’y est attestée pour l’âge du Bronze. L’hypothèse selon laquelle ce canal aurait servi avant tout à mettre la cité en relation directe avec le fleuve semble la plus probable. Il alimentait en eau la ville en même temps qu’il pouvait faciliter le transport des matières pondéreuses entre celle-ci et l’Euphrate. Dans cette hypothèse, il fallait qu’il fût 6 - Nous n’avons pas pu y ouvrir de tranchée du fait de la proximité de la nappe phréatique. 7 - Sa trace est particulièrement bien visible sur la photo publiée dans le dossier Éblouissante richesse de Mari sur l’Euphrate de la revue Histoire et Archéologie : les dossiers, no 80, 1984, p. 13. 178 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT a - Secteur de la prise d’eau altitude relative en mètres canal moderne altitude absolue en mètres ESE 175 ONO 2 1 174 0 173 –1 50 0 100 150 250 b - Section au droit du site de Tell Hariri-Mari altitude absolue en mètres altitude relative en mètres NE SO 6m 5 Tell Hariri-Mari 177 4 3 175 ville basse ? 2 chenal 1 173 0 –1 171 –2 0 50 100 150 200 250 c - Section au débouché supposé dans le paléoméandre sud altitude absolue en mètres altitude relative en mètres NE SO 2m 174 1 173 0 172 –1 171 –2 0 50 100 150 m niveau moyen actuel de la terrasse alluviale Fig. 2 - Profils du canal d’amenée d’eau à Mari. 300 m Avant-Propos Les aménagements hydrauliques Fig. 3 - Trace du canal de Mari lors de sa traversée du site de Tell Hariri, vue vers l’amont. Fig. 4 - Débouché du canal de Mari dans un paléoméandre, vu vers l’aval. 179 179 180 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT fonctionnel toute l’année. Nous ne savons pas comment fut alors résolu le problème posé par son alimentation en période d’étiage : peut-être par un seuil semblable à celui que nous avons observé à la prise du Nahr Sémiramis (cf. ci-dessous, p . $$ $$), dans le défilé d’Al-Khanouqa 8 (cf. fig . 3 1, p . $$ $$). Les contraintes liées aux trop forts débits pouvaient éventuellement être atténuées par l’aménagement, dans la section amont du canal, d’un déversoir écrêtant les hautes eaux. Lors des débordements du fleuve, il faut imaginer un système de vannes permettant de fermer le chenal à hauteur de la digue qui protégeait la ville. En relation directe avec Tell Hariri , ce canal est contemporain de l’ancienne cité de Mari, qui, comme nous l’avons vu, est implantée à l’écart du fleuve. Il permettait de résoudre le problème de son alimentation en eau. Il était donc indispensable à l’existence même de la ville. En conséquence, il nous semble probable qu’il ait été construit lors de la fondation de cette dernière , au début du IIIe millénaire et qu’il soit resté en usage jusqu’à la chute de Mari au XVIIIe s. av. J.-C. Le canal de M¨hasan Le site de M¨hasan 1 (2 5 ; cf. chap. IV, fig . 27), dans l’alvéole du même nom, à environ 15 km en aval de Deir ez Z¨r, semble avoir profité d’un aménagement du même type. Implantée comme Mari sur la terrasse Q0a, à l’écart du fleuve, à au moins 1 km du plus proche méandre, l’agglomération devait être alimentée en eau par une voie artificielle (cf. carte h .- t . I). Sa trace, longue au minimum de 5 km, part d’un méandre proche du hameau d’El ‘Abid et rejoint en ligne droite le tell avant de se perdre dans le dédale des amas éoliens informes qui parsèment la surface de la terrasse en aval du site. ’ La prise d eau Apparemment, seul le méandre situé en contrebas du site de Tell Guftn (2 3 ; f i g . 5) pouvait convenir à l’installation de prise d’eau de ce canal. L’endroit était propice, car la configuration très particulière des lieux laisse présager la présence, à proximité immédiate du tell, d’un môle-butoir. Il est, de plus, fort probable que Tell Guftn, qui interpose sa masse entre le canal et le fleuve, a été fondé postérieurement, à l’époque islamique ainsi que le révèlent les fouilles effectuées par S. Berthier 9. Comme pour le canal de Mari donc, il n’y aurait pas eu d’installation importante à l’emplacement de la prise d’eau. Les aménagements ayant, là aussi, disparu, il ne nous est pas possible de préciser comment se faisait la dérivation de l’eau du fleuve vers le chenal artificiel. Nous reviendrons sur cette question à propos du Nahr Sémiramis. 8 - Al-Khanouqa ou « l’étrangleur » (LAUFFRAY 1983, p. 65) est aussi connu sous le nom de « défilé de Halab¬ya-Zalab¬ya ». Le tracé Mal conservé, sans doute laminé par les crues, le canal n’est plus guère visible que grâce à une faible élévation du terrain due très probablement aux déblais de creusement ou de curage qui ont été rejetés de part et d’autre du chenal. Ce dernier apparaît cependant mieux après les pluies du fait de la légère dépression qui marque son emplacement. Un ancien méandre, la Surt et Tb¬ye, a failli recouper son tracé. À hauteur d’un des hameaux de M¨hasan, au sud-sud-est d’El ‘Abid, une dérivation du Nahr Sa‘¬d (cf. ci-dessous) aboutit dans le canal. Le débouché La trace du canal disparaissant totalement après M¨hasan 1 (2 5), il nous est impossible de préciser où se trouvait son débouché. On peut supposer qu’il était relié à un paléoméandre aujourd’hui totalement colmaté, peut-être celui au bord duquel se situe le site islamique de Tell Hr¬m (3 0). Fonction du canal et datation Si l’on considère la distance qui sépare la prise d’eau et le site de M¨hasan 1, seule l’hypothèse du canal d’amenée d’eau est envisageable. En effet, il est difficile d’admettre que l’eau dérivée du fleuve ait pu rattraper le niveau de la terrasse en seulement 4,5 km, sachant que la pente moyenne de celle-ci est de l’ordre de 0,35 ‰ et que la différence d’altitude entre le fleuve et la terrasse était de toute façon au moins supérieure à deux mètres (cf. ci-dessous, p. $$). L’hypothèse d’un usage pour l’irrigation serait envisageable en aval de M¨hasan 1, mais nous ne savons pas ce qu’il advient alors de l’aménagement. Comme dans le cas de Mari, le canal est contemporain du site avec lequel il est en relation directe. Il permettait, ici aussi, de résoudre le problème de l’alimentation en eau posé par la situation de M¨hasan 1, à l’écart du fleuve. Il est dès lors vraisemblable qu’il ait été aménagé lors de la fondation de la ville, moment qui n’a pu encore être déterminé avec certitude 10. D’après la céramique récoltée en surface lors de la prospection, le site a été occupé au début du IIe millénaire. Cette époque est la seule pour laquelle nous pouvons raisonnablement affirmer que le canal était en fonction. Mais une occupation à des époques antérieures, notamment au Bronze ancien, n’est pas à exclure. Le doute subsiste également pour l ’ époque islamique en raison de l’implantation apparemment modeste qui y est attestée par la céramique. Toutefois, une remise en fonction du canal à cette époque n’est pas impossible : elle n’aurait concerné que les sections médiane et aval, lesquelles auraient été alimentées à partir d’une dérivation du Nahr Sa‘¬d un peu en aval de Tell Guftn. 9 - BERTHIER et D’HONT 1994. 10 - Voir chap. IV, p . 36$. Avant-Propos 181 Les aménagements hydrauliques 181 ❚ ❚ ❚ 0 ❚ ❚ EUPHRATE ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ N ❚ ❚ ❚ 200 m ❚ ❚ ❚ ❚ 199,2 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Q0a ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Tell Guftan (23) ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 197,6 ❚ 200 ❚ Q00 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ digu ❚ e ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Ca ‘ id r Sa Nah digue ❚ ❚ Terrasses alluviales na ld eM oh as cours de l’Euphrate an cimetière cône de déjection QII paléoméandre Q0a Talus ▲ Q0b ▲ ❚ Q00 ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 200,5 point coté 190 courbe de niveau affleurement de la formation QII ▲ plus de 5 m tracé de canal ❚ de 1 m à 5 m canal probable moins de 1 m chemin ❚ Fig. 5 - Tell Guftn (carte I, carré C4, no 23) et les canaux de M¨hasan et du Nahr Sa‘¬d. LES CANAUX D’IRRIGATION Nous avons vu que l’irrigation des cultures est une nécessité presque incontournable. Du fait de la salinité de la nappe phréatique et de la largeur de la terrasse holocène ancienne, qui peut atteindre voire dépasser les 3 km, cette dernière ne peut être mise en valeur qu’en recourant à des aménagements hydrauliques de grande taille branchés sur l’Euphrate. Certes, une petite irrigation pouvait assurer la mise en valeur des terres qui, proches du fleuve ou, à la rigueur, de paléoméandres bénéficiaient d’un bon drainage. Mais les techniques rudimentaires (chadouf ?, nasba ?) naguère utilisées ne devaient permettre d’irriguer que sur une largeur de quelques centaines de mètres au grand maximum. Des puits devaient exister dans quelques secteurs bien drainés de la basse vallée ou dans les oueds affluents bien pourvus en eaux d’inféroflux, mais là aussi les surfaces concernées par l’irrigation ne pouvaient être que restreintes. 11 Dès lors que l’on souhaitait mettre en valeur l’ensemble des terres de la vallée dotées d’un bon potentiel de fertilité, des aménagements lourds , à prise directe dans le fleuve , s’avéraient indispensables. Nous ne traiterons ici que de ces derniers, les canaux relatifs à la petite irrigation n’ayant évidemment pas laissé de traces repérables par la prospection. Éléments techniques Les prises d’eau Dans tous les cas où l’emplacement de la prise d’eau nous est connu, celle-ci est située dans la concavité d’un méandre bien dessiné. Cette similitude avec les canaux d’amenée d’eau est compréhensible, le problème de la dérivation des eaux du fleuve se posant de la même manière dans les deux cas de figure. Il est vrai qu’une localisation dans la convexité d ’un méandre était de toute façon 11 - L’irrigation par puits est attestée dès le Bronze moyen (DURAND 1990 a, p. 128-129). 182 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT impossible : la prise aurait été sans cesse colmatée par les sédiments charriés par le fleuve et déposés dans ces zones de calme relatif. D’autres inconvénients existaient cependant en rive concave. En effet, le sapement latéral de la terrasse engendré par la force centrifuge du courant y menace tout aménagement. On comprend dès lors le choix, fréquemment attesté, d’un méandre dont le développement était bloqué par un môle-butoir. Pour autant, tout danger n’était pas écarté. C’est ce qui explique peut-être les très nombreux blocs de dalle calcaire retrouvés au sein de la formation Q0b d’El Jurdi Sharqi (cf. carte h .- t . III, sous le site no 9 0), laquelle s’est mise en place durant le Bronze récent (cf. ci-dessus, p . $$ $$), alors que le canal d’El Jurdi Sharqi était fonctionnel : on peut penser qu’ils ont été jetés là en nombre pour faire masse et protéger ainsi la prise de ce canal, située juste en aval. Les tracés Le détournement de l ’ eau d ’ un fleuve implique nécessairement un canal dont la section amont, au moins, est excavée dans la terrasse . Cela dit , deux types d’aménagements peuvent être envisagés : — le canal a pour fonction de conduire l’eau vers les terres à irriguer, mais il reste en creux sur tout son tracé. Dans ce cas, l’irrigation ne peut se faire que par l’intermédiaire de machines élévatoires. Cela pourrait avoir été le cas du Nahr Sa‘¬d (cf. ci-dessous, p . $$ $$), canal de rive droite dans l’alvéole de M¨hasan, du moins à l’époque islamique ; — le canal a pour fonction d’irriguer par gravité. Dans ce cas, il devra d’abord rattraper le niveau des terres à arroser avant de circuler, au moins partiellement, en remblai, à leur surface. La dénivelée entre le fleuve et la terrasse est évidemment variable, en fonction du débit de celui-ci, mais aussi de sa dynamique — phase de creusement ou d ’ alluvionnement — : on peut proposer une valeur moyenne, de 3 m environ 2, sachant qu’elle était naguère, avant l’érection des grands barrages modernes, de près de 4 m dont 1 m correspondant à des limons de débordement « récents ». La pente moyenne de la terrasse étant de l’ordre de 0,35 ‰, ce n’est qu’au bout d’environ 8,5 km que le niveau de l’eau peut atteindre le niveau des terres à irriguer. Les terroirs situés le long de ce segment amont, en creux, pouvaient éventuellement bénéficier des eaux du canal par l’intermédiaire de machines élévatoires. Le segment aval permettait d’arroser les champs par simple gravité. 1 12 - Il est très difficile de proposer une valeur précise pour cette dénivelée. Nous pensons cependant que la présence, en plusieurs points du lit mineur actuel, de galets de gros calibre en très grand nombre (il s ’agit très certainement de galets de la formation sous-jacente QII) implique que le fleuve n’a pu recreuser son lit durant l’Holocène. 13 - Pour les aménagements à l’âge du Bronze, on pourra se référer à Les débouchés Bien qu’aucune trace des sections terminales des canaux d’irrigation n’ait été préservée, il est logique de supposer qu’ils débouchaient dans le fleuve ou dans d ’anciens méandres, de manière à assurer facilement l’évacuation de l’eau non utilisée. Dans plusieurs cas, la présence, dans le prolongement des canaux, de chenaux de décrue rejoignant l’Euphrate ou des paléoméandres (cf. ci-dessus le cas flagrant du canal d’amenée d’eau à Mari) donne à penser que ces chenaux matérialisent à présent ces anciens tracés. L’alimentation Hormis le Nahr Dawr¬n, alimenté par le Khb‚r (cf. cidessous), les canaux de la vallée de l’Euphrate étaient alimentés directement par le fleuve. Les diverses hypothèses qui ont été formulées à propos d’une alimentation par des oueds affluents ne nous semblent plus recevables pour diverses raisons qui seront exposées cas par cas. Il s’ensuit que le débit dans les canaux était dépendant d’une part des aménagements de prise dont nous savons peu de chose 3, d’autre part du débit du fleuve. Or, nous avons $$) que les basses eaux durent de la fin vu (cf. chap. I, p . $$ juin à la fin février et les hautes eaux de mars à juin. Cette bipartition posait sans doute de nombreux problèmes. Les arrosages de début de printemps, indispensables pour les cultures céréalières d’hiver, devaient être facilement assurés, le débit étant soutenu par les précipitations tombées sur le haut bassin-versant. De plus, de simples seuils édifiés dans le cours du fleuve pouvaient permettre d’en relever le niveau (cf. ci-dessous le cas de la prise du Nahr Sémiramis). Les hautes eaux, en revanche, se produisaient au moment où l’irrigation battait son plein. Mars et surtout avril connaissent des crues souvent brutales qui devaient gêner sérieusement le bon fonctionnement des canaux 4. En ce qui concerne la région de Deir ez Z¨r, le débit de l’Euphrate atteint son maximum en mai, au moment où commencent les moissons, ce qui représente évidemment un danger majeur pour leur bon déroulement. Dès juillet, l’étiage se creuse, les très basses eaux étant atteintes dès août. C’est sans doute à peu près à cette période de l’année que les canaux, du moins à l’âge du Bronze, cessaient de fonctionner. Ils n’étaient remis en état que pour la nouvelle saison agricole 5, peut-être dès la fin de l’automne. À l’époque islamique en revanche, l’attestation de cultures d’été 6 implique que les canaux demeuraient en 1 1 1 1 DURAND 1998, p. 578 sq., pour l’époque islamique à BERTHIER et al. 2001. 14 - De tels accidents sont relatés dans les archives de Mari (D URAND 1998, p. 614 sq.). 15 - Ibid., p. 578. 16 - BERTHIER et D’HONT 1994, BERTHIER et al. 2001. Avant-Propos 183 Les aménagements hydrauliques ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ N ❚ ❚ ❚ ❚ eau durant une période plus longue, ce qui n’exclut pas leur mise hors fonction momentanée pour des travaux d’entretien. 183 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ’ Les canaux d irrigation de rive ❚ 0 1 km ❚ ❚ ❚ droite ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Nous les décrirons en partant de l’amont vers l’aval, chaque alvéole ayant possédé, à un moment donné, un ou plusieurs aménagements de ce type. ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Q00 Safire Foqani Le canal de Deir ez Z¨r ❚ Bien que situé en grande partie en amont de notre secteur de prospection, nous avons intégré cet aménagement (fig . 6) dans notre étude, car sa trace, en aval de Deir ez Z¨r ( f i g . 7) , était encore impressionnante au début des années 1980 — elle a aujourd’hui quasiment disparu, ensevelie sous un quartier d’activités artisanales — et il nous a semblé nécessaire de le mentionner pour mémoire . Il nécessiterait cependant une étude de terrain plus détaillée. ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Q0a ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Ma‘ishiye ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ tracé de canal ❚ tracé probable ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ site archéologique ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Hatla ❚ ❚ lit de l’Euphrate en 1959 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ talus de la terrasse Q0a talus du plateau ou des terrasses pléistocènes cônes de déjection ❚ principales agglomérations ❚ ❚ ❚ Le tracé Le canal peut être suivi, par tronçons, sur une distance de 12 km. Sa section amont longe le pied de la falaise pendant un peu plus de 2 km avant de disparaître, détruite par le jeu d’un méandre. Il est encore décelable par endroits dans le relief très perturbé de la ville, notamment dans la dépression qui traverse un jardin public, anciennement le « cimetière français ». On le retrouve, implanté sur la terrasse Q0a, à la 17 - HÉRAUD 1922 b, p. 109 ; voir ci-dessous, témoignages. ❚ ❚ 1 ❚ ❚ La prise d’eau L ’ emplacement exact de la prise ne nous est pas connu. D’après la carte au 1/25 000, et si l’on se réfère au témoignage de Ch . Héraud 7, elle se localisait probablement à un peu plus de 6 km en amont de Deir ez Z¨r, en face du village de Saf¬re F¨qni, là où se déploie un vaste méandre bloqué par le plateau de Shamiyeh. Deir ez Zor (89) méandres anciens ❚ Fig ❚ ❚ . 6 - Le canal de Deir ez Z¨r. sortie de Deir ez Z¨r où se distinguent encore ses deux digues et son chenal. Interrompu par le développement d’un autre méandre, il disparaît avant d’aborder le grand cône du Wdi el Jafra. Le débouché Le secteur du Wdi el Jafra étant particulièrement difficile à prospecter (aéroport, fermes d’État, etc.), il ne 184 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Fig. 7 - Le canal de Deir ez Z¨r en aval de l’agglomération. Cliché Armée du Levant, du 28 juillet 1938 (photothèque IFAPO). Avant-Propos 185 Les aménagements hydrauliques nous est pas possible de savoir si le canal contournait ou non ce cône. Il nous semble donc préférable de ne pas formuler d ’ hypothèse quant à l ’ emplacement de son débouché. Témoignages — HERZFELD 1911, p. 171 : « Die noch 8 m hohen parallelen Dämme eines langen und 20-25 m breiten Kanales sieht man noch heute im Süden der Stadt. » — HÉRAUD 1922 b, p. 109 : « le canal le plus nettement marqué bifurque de l’Euphrate à 6 kilomètres au nord-ouest de Deir ezZor […], il est nivelé durant la traversée de la ville, puis reparaît à la sortie est où ses rebords, hauts de 12 à 15 m environ s’allongent en dunes parallèles sur près de deux kilomètres. » — CUMONT 1926, p. XIII, n. 1 : « le canal de Saïd est peutêtre celui dont on peut suivre à la sortie de Deir ez-Zor, sur près de 2 kilomètres, les deux berges parallèles surélevées de plus de 12 mètres. » — LAUFFRAY 1983, p. 54, citant des notes de P. Hamelin 18 : « Un premier canal avait son point de départ à 5 km au moins en amont de la ville. Un second canal s’amorçait derrière l’hôpital national. On retrouve au bord du fleuve de gros blocs de basalte qui appartenaient à un barrage en épis. Il suivait entre la grand-rue et le fleuve le tracé d’une rue intermédiaire, qui jusqu’à une date récente s’appelait encore le Nahr, c’est-à-dire la rivière ou le canal. La trace de ce Nahr se voit encore nettement à droite et à gauche du cinéma d’été. On le retrouve en aval à la sortie de la ville. Long de 4 kilomètres, il atteignait le village de Djafra. Des traces d’un troisième canal sont bien visibles un peu en aval du bain militaire à 4 mètres de hauteur au-dessus du fleuve (ce qui suppose une noria élévatrice pour l’alimenter). Divers autres tronçons sont repérables, l’un coupait le cimetière militaire, un autre se retrouve dans l’angle ouest de la mission des Capucins. » Fonction du canal et datation La fonction la plus probable reste , malgré les nombreuses incertitudes relatées ci-dessus, l’irrigation, notamment du secteur de la vallée situé en aval de Jafra. Nous n ’ avons par ailleurs aucun élément nous permettant de dater ce canal. Le Nahr Sa‘¬d : grand canal de l’alvéole de M¨hasan Le Nahr Sa‘¬d est sans conteste, avec le Nahr Dawr¬n, l’aménagement qui aura fait couler le plus… d’encre ! Mentionné par les textes d’époque médiévale 9, décrit par les voyageurs (cf. ci-dessous), il a fait l’objet de quelques controverses relatives à son ancienneté et à son mode de 1 18 - Ingénieur travaillant pour l’office des Céréales panifiables, P. Hamelin séjourna plusieurs années à Deir ez Z¨r et parcourut la région ; il collabora aux travaux de J. Lauffray à Halab¬ya. 19 - On se référera à ce sujet à EI 2, Nahr Sa‘¬d, ainsi qu’à l’ouvrage de 185 fonctionnement. Nous y reviendrons. Repéré sur près de 35 km de longueur, ponctué de nombreux sites, il est le mieux préservé des canaux de la vallée. Nous n’en ferons qu’une description sommaire dans la mesure où il est amplement étudié dans l’ouvrage de S. Berthier 20. La prise d’eau Elle se situe à Tell Guftn (2 3 ; cf. fig . 5), dans le même méandre que la prise du canal de M¨hasan, dont elle utilise ou réutilise sans doute l’emplacement 2 . Hélas, le méandre en se déplaçant a fait disparaître toute trace des installations construites à la diffluence. Après avoir traversé le tell, le canal se dirige vers le sud pour rejoindre peu à peu l’axe médian de la terrasse Q0a. 1 Le tracé Plus ou moins bien conservé selon les endroits, le canal se présente de nos jours sous forme de levées de terre massives, allongées, en faible relief sur la terrasse. Sauf rares exceptions, comme la traversée de Tell Guftn (2 3) ou celle de Tell Qaryat Medd (3 6), digues et chenal ne sont plus différenciables , le tout formant un volume d ’ une cinquantaine de mètres de large. Souvent, toute trace a disparu, effacée par des siècles d’inondations ; seuls quelques tronçons, pour la plupart préservés par la masse des sites qui les jouxtent, permettent de restituer son tracé, en pointillé. La section amont, du fait de la dénivelée entre le fleuve et les terres à irriguer, devait être creusée dans la terrasse sur une distance d ’ au moins 8 , 5 km (cf . ci - dessus) . Particulièrement fragile, elle était protégée des crues d’une part par la masse de Tell Guftn, d’autre part par deux digues, levées de terre reliées au tell et qui formaient un angle de 90° environ dans lequel se trouvait le canal. C’est sans doute ce dispositif qui a permis la conservation de la trace en creux d’une probable dérivation du Nahr Sa‘¬d allant alimenter un second ouvrage, le canal de M¨hasan, qui, de fondation plus ancienne, aurait ainsi été remis en fonction (cf. ci-dessus, p . 5$ 5$). Tout le long du canal se sont implantées des installations humaines. À plusieurs reprises, nous avons pu repérer des levées de terre qui en partent, esquissant un système en arêtes de poisson. Il s’agit sans doute de canaux secondaires, plus nombreux sur la gauche de l’aménagement que sur sa droite, qui permettaient d’irriguer les terres de part et d’autre du chenal artificiel. Plus en aval, entre Buqras et Et Ta‘as el Jiz, des méandres du fleuve, en se développant, sont venus en trois endroits détruire le canal. Toutefois, les textes médiévaux et les récits des voyageurs sont explicites : le BERTHIER et al. 2001. 20 - BERTHIER et al. 2001. 21 - L’hypothèse avancée par T. Bianquis (1986 b, p. 126) qui situe cette prise à Deir ez Z¨r ne nous semble guère envisageable. 186 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Nahr Sa‘¬d se poursuivait jusqu’à Al-Dliya, site certes non localisé avec certitude, mais qui pourrait correspondre au village d’El Graiye 1 (4 4). Le débouché Seuls les textes permettent de le situer, a priori près d’Al-Dliya, plus probablement dans la région contrôlée par cette ville, sans doute dans la partie aval de l’alvéole d’El ‘Ashra. Les canaux secondaires Ils ne semblent pas avoir suscité des sites d’habitat, peutêtre parce qu’ils n’étaient pas en eau continûment. Leur tracé était dicté par deux impératifs : d’une part, la nécessité de répartir l’eau sur l’ensemble des terres à irriguer, d’où une certaine régularité dans la succession des diffluences, et d’autre part, la prise en compte du relief préexistant, car la terrasse présente une légère contrepente qui impose au tracé un angle aigu avec le canal principal. De ce fait, ils étaient exposés de plein fouet aux crues, ce qui explique la massivité de leur construction. Ainsi, le canal secondaire d’Abu Leil (4 0), un des mieux préservés, se présente sous la forme d’une levée de terre large d’environ 75 m, mais peu élevée, continue et régulière. Le matériau constitutif, limoneux en surface, est argilo-limoneux dans la masse, ce qui est également le cas pour les canaux secondaires d’Es Salu (fig . 8). Témoignages 22 — A INSWORTH 1 888 , p . 37 1- 372 : « The level and well cultivated plain on which it [Mayerthin (= Meyd¬n)] was situated was formerly separated from the cliffs in the background by a canal, or, from the physical aspect of things, this may have been the ancient bed of the river, and afterwards a canal. Idrisi notices such a canal as being derived from the Euphrates at Rahabah, and which divided itself into various branches in the interior. Some have even supposed this canal extended hence to the Pallacopas in Babylonia. […] The cliffs above Rahabah which extend thence of the banks of the river at Salahiyah constitute a physical impossibility to a southerly prolongation of this canal. » — LE STRANGE 1905, p. 105 : « Near [RaÌbah] stood the small town of Ad-Dâliyah (the Waterwhell) and both places lay near the bank of a great loop canal, called the Nahr Sa‘îd, which branched 4 19 5 19 Es Salu 2 (38) 198,8 195 195 195 19 5 Q0a hr Na c Sa id Es Salu 3 (39) 0 N 200 m 5 19 Fig. 8 - Le Nahr Sa‘¬d et ses canaux secondaires à Es Salu 2 et 3 (carte I, carré E7, nos 38 et 39). 22 - Pour les sources arabes concernant ce canal, voir BERTHIER et al. 2001. Avant-Propos 187 Les aménagements hydrauliques from the right bank of the Euphrates some distance above ƒark˚îsiyâ and flowed back to it again above Dâliyah […]. The canal had been dug by Prince Sa‘îd, son of the Omayyad Caliph ‘Abd-alMalik […]. » — CUMONT 1926, p. XII-XIII : « Un canal y conduisait jusqu’au pied de la montagne les eaux de l’Euphrate ». Ibid., p. XIII, N. 1 : « au XIVe s., Aboulféda dit que “ses habitants (du château de RaÌaba) reçoivent leur eau par un aqueduc dérivé du canal de Saïd , qui sort lui -même de l ’Euphrate” (Géographie d’Aboulféda, trad. Reinaud, t. II, p. 56). Le canal de Saïd est peut-être celui dont on peut suivre à la sortie de Deir ezZor, sur près de 2 kilomètres, les deux berges parallèles surélevées de plus de 12 mètres. Cependant un fragment d’Ibn-Serabioun (cité par Hoffmann, Auszüge aus Syr. Akten Persischer Märtyrer, 1880, p. 165) dit qu’il partait de l’Euphrate au sud de Circésium (Besirâ) et qu’après avoir passé à Rahaba, il retournait au fleuve à DâlijatMalik-ben-Tauq. » — MUSIL 1927, p. 198 : « about thirteen kilometers northwest 187 par gravité était possible, est-il bien raisonnable de penser que l’on entretenait à grands frais les très nombreuses machines nécessaires à l’arrosage des champs quand l’eau pouvait couler tout naturellement vers eux ? En tout cas, la gravité jouait effectivement lors de la dernière période de fonctionnement du canal, lorsque les chenaux secondaires s’étiraient dans la campagne. Il ne fait en tout cas aucun doute que l’ouvrage était destiné à l’irrigation des alvéoles de M¨hasan et d’El ‘Ashra et que celle-ci était pratiquée toute l’année ou presque ; seule la présence d’eau pérenne peut expliquer l’existence des nombreux sites (13 repérés) qui lui sont directement associés. Les fouilles réalisées par S. Berthier ont d’ailleurs permis de certifier la pratique de cultures de céréales vivrières d’été 24. Fonction du canal et datation Une des controverses évoquées ci-dessus est relative au mode de fonctionnement du Nahr Sa‘¬d. S. Berthier et O. D’Hont considèrent que le canal, au moins dans son premier état islamique repéré (qui pourrait dater du Xe-XIe s.) devait être creusé dans la terrasse au moins jusqu’à Meyd¬n (55 1) 23. Les arguments qu’ils avancent pour affirmer que le chenal n’affleurait pas encore à Tell Qaryat Medd (33 66) sont recevables. Mais la raison n’en est certainement pas que la topographie imposait cette solution. Nous avons vu que moins de 10 km suffisent, théoriquement, pour amener les eaux de l’Euphrate au niveau des terres à irriguer ; or, plus de 13 km séparent Tell Qaryat Medd de la prise d’eau, Meyd¬n en étant, quant à elle, éloignée de quelque 31 km. Si l’irrigation était organisée au moyen de machines élévatoires tirant l’eau d’un canal creusé dans la terrasse, il s’agissait alors d’un choix technique et non d’une nécessité liée à une contrainte naturelle. À la rigueur, si l’on admet que le chenal était creusé jusqu’à Tell Qaryat Medd afin de rattraper une différence de niveau un peu plus importante que celle que nous avons calculée, ce n’était plus nécessaire en aval. Les fragments de godets de machines élévatoires retrouvés sur les sites contigus au canal, et interprétés comme servant à l’irrigation des cultures de plein champ , ne proviendraient - ils pas plutôt d ’ engins utilisés pour approvisionner en eau les villageois eux - mêmes et éventuellement leurs jardins. En effet, dès lors que l’irrigation Jalonné de sites datant de l’époque islamique sur tout son parcours dans l’alvéole de M¨hasan, passant entre les villes médiévales de RaÌba (Meyd¬n, 5 1) et RaÌba alad¬da (Er Rheiba, 5 2), ce grand canal était de façon manifeste en usage à cette période. L’abondance des sites d’époque ayyoubide 25 que nous avions repérés le long de cet ouvrage nous avait amenés à le dater de cette époque, à la suite d’une vraisemblable remise en état d’un système plus ancien 26. Nous pouvons désormais préciser son utilisation à l’époque islamique. Celle-ci a été évoquée par plusieurs auteurs médiévaux, qui dénommèrent ce canal le Nahr Sa‘¬d. Au XIVe s., l’un d’entre eux, le géographe Aboulféda attribua son aménagement aux Umayyades, sous le califat de Marwan vers le milieu du VIIIe s. D’après les sondages qu’ils ont effectués dans le canal à Tell Guftn (2 3) et Tell Qariyat Medd (3 6), S. Berthier et O. D’Hont datent un premier état des Xe-XIe s. 27, mais ils signalent que « en dessous, d’autres couches de curage confirment que l’usage du canal est antérieur ». L’occupation de ces deux sites remonte, quant à elle, au début de la période abbasside, soit au IXe s. Elle s’est prolongée jusqu’aux XIIIe-XIVe s. On peut donc conclure à une utilisation vraisemblablement continue du IXe au XIVe s., peut-être même dès le VIIIe s. si l’on se réfère à la tradition. Cet aménagement (du VIIIe ou du IXe s.) a-t-il repris un ouvrage préexistant ? Le problème est difficile à résoudre. Il semble certain qu’à l’avènement de l’islam, aucun canal ne fonctionnait dans l’alvéole de M¨hasan. Aux Ve et VIe s. en effet, ce secteur de la vallée était manifestement peu occupé, sinon laissé à l’abandon, formant une sorte de no man’s land. La frontière entre les empires romain et perse passait quelque part dans l’alvéole, en sorte que ce canal, d’après la trace qui en a été repérée, se serait trouvé à cheval sur les deux territoires. Une telle situation est à exclure. 23 - BERTHIER et D’HONT 1994. 24 - BERTHIER et D’HONT 1994. 25 - Les sites d’époque ayyoubide sont facilement repérables en raison de la présence d’un matériel très caractéristique (céramique de Raqqa). 26 - GEYER et MONCHAMBERT 1987 b, p. 328. 27 - BERTHIER et D’HONT 1994. of the modern settlement of al-Bsejra (the ancient Circesium), the Sa‘îd branched off from the right bank of the Euphrates. » Le canal est représenté, sur la carte, entre Sa‘luwa et al-MeÌkân. 188 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Peut-on considérer que l’aménagement du Nahr Sa‘¬d n’est pas une création ex nihilo et qu’il s’est fait sur une trame antérieure, abandonnée depuis plusieurs siècles, et partiellement estompée ? Le seul ouvrage ancien dont l’existence soit attestée dans le secteur est le canal I·îm-Yahdun.Lîm, mentionné dans les archives de Mari du début du IIe millénaire av. J.-C. Plusieurs lettres adressées au roi de Mari 28 indiquent que ce canal était en étroite relation avec les deux villes de Dûr-Yahdun-Lîm et de Terqa. La première étant située dans l’alvéole de M¨hasan 29, la seconde dans celle d’El ‘Ashra, le canal devait donc courir sur les deux alvéoles, comme le fait celui dont nous avons suivi les traces. Dès lors, il n’est pas impossible que le canal de l ’alvéole de M¨hasan corresponde au canal I·îm-Yahdun.Lîm, au moins sur une partie de son tracé. Il aurait été remis en état au début de l’époque islamique. L’absence de sites du Bronze moyen sur ses berges n’est pas contradictoire, puisque, comme nous l ’ avons vu 30, il apparaît qu ’ à cette époque le mode d’implantation de l’habitat était différent : les sites ne pouvaient s’installer le long d’un canal qui, ne fonctionnant pas toute l’année, ne pouvait assurer l’approvisionnement en eau continu indispensable à leur existence. Les canaux de l’alvéole d’El ‘Ashra Nous ne savons que peu de chose des canaux d’irrigation dans l’alvéole d’El ‘Ashra, à l’exception notable du Nahr Sa‘¬d, dont n’y subsiste d’ailleurs qu’un court tronçon d’un peu plus de 2 km, en tête duquel se trouve le site d’Et Ta‘as el Jiz. Les autres vestiges sont difficilement interprétables tant ils ont été laminés par les crues. Nous avons jugé bon de les reporter sur les cartes afin que soit conservée une trace de leur présence ; ils risquent en effet de disparaître à jamais, effacés par les pratiques culturales « modernes ». Le grand canal de l’alvéole de Tell Hariri L’alvéole de Tell Hariri est une des plus vastes de la région ; sa surface, plane et régulière, n’est que rarement ponctuée de pointements de la formation QII. Elle se prêtait donc bien à la mise en œuvre d’une irrigation à grande échelle. Des témoignages d’une telle mise en valeur ont pu être mis en évidence sur la terrasse alluviale Q0a, où subsistent les vestiges d’un canal d’irrigation, conservé sous forme de segments discontinus répartis sur près de 1 7 km (cf. cartes h .- t . IV et V ). Conçu pour irriguer par gravité, 28 - Par exemple, ARM III 5, III 79 et A.454. Voir aussi l’étude de SAFREN 1984. 29 - Sur cette localisation, voir chap. IV, p . 34$ s q. 30 - Cf. chap. IV, p . 6$. 31 - Le nom ancien (râkibum, « le chevaucheur ») est tout à fait évocateur ; cf. DURAND 1990 a, p. 126-127. 32 - DURAND 1990 a, p. 125 ; 1998, p. 578. il était probablement creusé dans la terrasse sur les premiers kilomètres, avant de se poursuivre, en remblai, sur la surface de celle-ci 3 . Sa prise et son débouché ne nous sont pas connus avec certitude. 1 La prise d’eau Le problème de la localisation de la prise d’eau de ce canal n’est pas résolu. Elle se situait très probablement dans le secteur de Slih¬ye-El Kita‘a (cf. carte h .- t . IV), mais les actions érosives combinées des crues du Wdi Dheina et de l’Euphrate en ont effacé toute trace éventuelle. Il est cependant très peu probable que cet aménagement puisse avoir été le prolongement d’un canal provenant de l’alvéole d’El ‘Ashra 32. En effet, celui-ci aurait dû passer au pied de la falaise du plateau de Shamiyeh, entre les localités actuelles d’Abu Hammm et d’Ed Dweir (cf. cartes h .- t . IV et chap. IV, fig . 26), en un lieu où le fleuve, depuis qu’il a entaillé la terrasse Q0a, est contraint d’emprunter un étranglement qui, aujourd’hui encore, ne dépasse pas 1,5 km de largeur. La chose est manifestement impossible 33 : il n’y a donc pas lieu de retenir l’hypothèse. Si l’on admet donc le fait que la prise d’eau se situait dans l’alvéole de Tell Hariri, trois éventualités s’offrent à nous. Elle pouvait être localisée sur un oued affluent, le Wdi Dheina, ou sur le fleuve, soit en amont de Slih¬ye soit à El Kita‘a. Le Wdi Dheina Sur l’amont de l’alvéole débouche un oued important : le Wdi Dheina (appelé aussi W. es Soub). Son bassin versant, très vaste, engendre des crues remarquables (cf. $$) malgré un cours passablement désorganisé chap. I, p . $$ par des phénomènes karstiques. Nous y avons découvert les vestiges d’un barrage et d’un canal, sans pouvoir établir de lien évident entre eux. Le barrage, implanté à une vingtaine de kilomètres en amont de l’embouchure, est probablement plus récent (cf. $$) que le canal d’irrigation de l’alvéole. Il ci-dessous, p . $$ n’en reste pas moins que le fait même de sa construction plaide en faveur de ressources en eau conséquentes qui auraient pu être exploitées pour l’irrigation de la vallée de l’Euphrate. Il y eût fallu un ouvrage, implanté au même endroit ou plus en aval 34, qui aurait permis le stockage de l’eau, puis son acheminement, par l’intermédiaire du canal du W. Dheina (carte h .- t . IV, carré L16, et fig . 9), jusque 33 - Cette impossibilité avait déjà été notée au siècle dernier par W. F. Ainsworth (1888, p. 372, cf. ci-dessus, p . 1 1 $, Témoignages). 34 - À l’emplacement même où aurait pu se trouver un tel ouvrage, c’està-dire à l’amont du canal du W. Dheina, des gravières ont totalement perturbé le plancher de l ’oued , rendant à jamais impossible toute observation. Avant-Propos 189 Les aménagements hydrauliques sur les terres situées en aval. Le problème est que, dans ces régions arides, les précipitations sont aléatoires, qu’années sèches et humides se succèdent sans périodicité et qu’il semble fort improbable que les récoltes aient pu être subordonnées à une telle variabilité climatique. De plus, les terres situées dans le nord-ouest de l’alvéole de Tell Hariri, proches du village de Slih¬ye, auraient alors pu être, au moins en partie, irriguées. Or, elles étaient réputées être, à l’époque paléobabylonienne, des terres daluwâtum, c’est-àdire des « prairies autour de puits » 35, ce qui correspond effectivement aux spécificités de ce secteur très particulier de la vallée où le drainage est efficace et la nappe phréatique très peu salée. Il nous faut donc admettre que la prise d’eau du grand canal était directement branchée sur l’Euphrate, ce qui implique deux possibilités. 189 L’Euphrate en amont de Slih¬ye La diffluence aurait pu se trouver au pied des falaises de Slih¬ye, non loin de l’emplacement où se dressent actuellement les ruines de Doura - Europos (cf . c a r t e h .- t . IV). L’emplacement eût été relativement propice, la falaise bloquant partiellement les déplacements des méandres : il n’était pas pour autant idéal, car une telle localisation imposait au canal de traverser la zone du débouché du Wdi Dheina dont les crues sont réputées violentes et sont susceptibles de se produire à plusieurs reprises dans l’année. De plus, le canal, dans ce qui aurait été alors sa section amont, se devait d’être creusé dans la terrasse afin de compenser progressivement la différence de niveau existant entre le fleuve et les terres à irriguer, ce qui l’aurait rendu encore plus vulnérable. On peut cependant supposer, à titre d’hypothèse de travail, que les flots de l’oued auraient pu être détournés de cette zone sensible par un Section en aval du gué de l’ancienne piste altitude absolue en mètres altitude relative en mètres N 190 S +1 0 189 –1 188 –2 187 10 0 20 30 40 50 60 70 80 Section en amont du gué de l’ancienne piste altitude absolue en mètres altitude relative en mètres NNE SSO 192 +1 191 0 190 –1 189 –2 0 10 20 30 40 50 60 Fig. 9 - Coupes en travers du canal du Wdi Dheina. 35 - DURAND 1990 a, p. 128-129. 70 m 90 m 190 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT endiguement et dirigés vers le canal de capture (cf. ci-dessous, p . $ $$), en périphérie de l’alvéole, par l’intermédiaire du canal du W. Dheina. Mais c’eût été prendre le risque d’inonder, au moins partiellement, les terres emblavables situées au pied du plateau, à proximité du canal de capture. Le scénario est donc peu probable. ’ ‘ L Euphrate à El Kita a L’hypothèse qui nous semble la plus probable est celle qui situerait la prise d’eau dans un vaste paléoméandre développé aux dépens de la terrasse Q0a et du cône du Wdi Dheina, au nord-est d’El Kita‘a. La configuration du terrain y est semblable à celles des prises du canal d’amenée d’eau à Mari ou encore du canal de M¨hasan : une zone de concavité d ’ un méandre bien enfoncé dans la terrasse et donc relativement stable. Cette solution semble la plus raisonnable, dans la mesure où se trouve ainsi résolu le problème des dangers que représente le débouché du W. Dheina. Un élément vient à l’appui de cette hypothèse : un chenal de crue creuse la berge du méandre, exactement dans l’axe du canal. Il n’est pas impossible qu’il marque l’emplacement de la prise. Dans ce cas de figure, le canal, nécessairement creusé dans la terrasse sur sa section amont, aurait atteint la surface de celleci après environ 8,5 km (cf. les calculs moyens proposés cidessus, p . $ $$), soit à la hauteur du village actuel d’El Musallakha, là où l’alvéole, en s’élargissant brusquement, présente une importante surface cultivable ; cette dernière observation conforte notre hypothèse. moyen d’élever suffisamment l’eau serait l’installation d’un , mais cette éventualité nous semble devoir être rejetée ici : le débit en serait insuffisant. De plus, le schéma de B. Lafont propose une dérivation peu avant le site de Mari en branchant sur ce bras un autre canal, dont nous savons qu’il s’agissait d’un canal d’amenée d’eau à Mari (cf. ci-dessus, p . $$), creusé dans la terrasse. À cet endroit, le second bras aurait donc dû être lui aussi creusé dans la terrasse, ce qui ne lui laissait guère qu’un kilomètre pour rattraper le niveau du canal principal : la chose est impossible, la topographie excluant une telle configuration. chadouf Le tracé L’aménagement, érodé et laminé au fil du temps par les crues du fleuve, n’est plus perceptible qu’en cinq endroits (cf. cartes h .- t . IV et V ), où il se présente sous la forme de segments longs de 100 m (El Kita‘a, El Mujwda el Keb¬re) à 900 m (El Hasrt), comportant une dépression axiale limitée par deux digues (fig . 1 0). Si l’on suit l’hypothèse, formulée ci-dessus, selon laquelle la prise d’eau était située dans un paléoméandre au nord-est d’El Kita‘a, le canal devait être creusé dans la terrasse sur une distance de 8 à 9 km, soit jusqu’à la hauteur d’El Musallakha. Il était en tout cas construit en remblai peu en aval, ce qu’atteste la coupe réalisée dans le segment d’El Hasrt (fig . 1 0 c et 1 1). Construit de manière massive, il était susceptible de résister aux crues du fleuve , mais aussi à un débit important empruntant son chenal (cf. ci-dessous, p . $$ $$), ce qui ne semble pas avoir empêché de nombreux incidents relatés par les tablettes d’époque paléobabylonienne 37. Le segment d’El Hasrt, le mieux conservé (fig . 1 2), a une largeur de 108 m. Les digues peuvent atteindre près de 50 m de large et 2,5 m de haut. La dépression axiale, qui constituait le chenal d’écoulement, possède jusqu’à 15 m de large à sa base. La pente moyenne est de 0,33 ‰ (calcul effectué à partir de la surface actuelle de la dépression axiale). Une deuxième prise ? Ce canal pouvait-il tirer avantage d’une deuxième prise ? L’hypothèse est avancée par B. Lafont dans son commentaire d’une tablette paléobabylonienne relatant un incident grave sur un aménagement 36 que nous pouvons très vraisemblablement identifier avec ce canal de rive droite. Située au maximum à six kilomètres de sa confluence supposée avec le canal principal, cette deuxième prise d’eau aurait été aménagée Sections Dénivelée Distance Pente du Pente de la entre les en m en m canal terrasse dans la rive de l’Euphrate, à proximité du village coupes en ‰ en ‰ actuel d’Es Saiyl. Même surélevé par un seuil sur le fleuve , le niveau de départ était a et b 2,4 7 600 0 , 32 0 , 35 nécessairement inférieur de plusieurs mètres au b et c 1, 2 3 600 0 , 33 0 , 32 niveau du canal principal, lequel est, à cet endroit, construit en remblai sur la terrasse. Les c et d 1, 3 3 800 0 , 34 0 , 35 estimations nous permettent d’envisager une Total 4,9 1 5 000 0 , 33 0 , 34 différence de niveau d’au moins 3 m. Les six kilomètres entre les deux points, effectués non Les valeurs de pente du canal, calculées d’après le niveau actuel de la dépression axiale dans l’axe de la terrasse mais en diagonale, ne du chenal, sont données à titre indicatif. permettraient pas au canal secondaire de ’ ’ . . . rattraper le niveau du canal principal. Le seul Tableau 1 Pente par sections le long du canal d irrigation de l alvéole de Tell Hariri (cf 36 - LAFONT 1992, notamment p. 105. 37 - DURAND 1990 a, p. 132 sq fig 10) . ; 1998, p. 614 sq. ; LAFONT 1992. Avant-Propos 191 Les aménagements hydrauliques altitude relative en mètres altitude absolue en mètres coupe a NE 180 191 SO 1 179 0 178 177 0 50 coupe b NE 178 100 150 m SO 2 177 1 176 0 175 0 50 coupe c ENE 177 100 150 m OSO 2 176 1 175 0 174 0 50 coupe d ENE 175 100 150 m OSO 2 174 1 173 0 172 0 Amont 50 100 a : profil NE-SO de la section d’El Mujawda el Kebire. Latitude : 3,087, longitude : 6,126 b : profil NE-SO de la section d’El Musallakha. Latitude : 3,032, longitude : 6,179 c : profil ENE-OSO de la section d’El Hasrat. Latitude : 3,007, longitude : 6,204 Aval d : profil NE-SO de la section d’Es Saiyal. Latitude : 2,975, longitude : 6,225 niveau moyen de la terrasse alluviale actuelle Fig . 10 - Coupes en travers du canal d’irrigation de l’alvéole de Tell Hariri. 150 m 192 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT SW . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... ... ... ... ... ... .................. . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. ...... ... ... ... .............................. .. . .. . .. . .. . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ... .. ... .. ... ...................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... .............. . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... ................. . .. . .. . .. . .. . .. . . . . . . . . . . .................... .................... .................... .................... . ......... ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . .. . .. . ................ . . . . . . . . . . ........................................... . . . . . . . . . . ................................... . . . . . . . . . . . ... ........................ . .. . . . . . . . . . . .. .. .. ....................... . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. . . . . . . . ..... .............. . .............. sol vierge m 3 0 –1 –2 10 0 . .. . .. . .. . .. . .. . ........... 20 30 argile graviers limon galets sable céramique 40 50 60 fond de chenal d’écoulement Fig. 11 - Coupe en travers du canal d’irrigation de l’alvéole de Tell Hariri près d’El Hasrt. Fig. 12 - Le canal d’irrigation de l’alvéole de Tell Hariri près d’El Hasrt, vu vers l’amont (le groupe de personnes évolue dans la dépression qui marque le chenal, le personnage isolé est sur le bas de la digue orientale). canal NE 70 m Avant-Propos 193 Les aménagements hydrauliques La trace du canal se perd peu en amont de Tell Hariri. Nous n’avons rien retrouvé en aval, ce qui ne signifie toutefois pas qu’il n’existait pas. En effet, le rétrécissement de la terrasse Q0a comme du plancher holocène de la vallée, ainsi que la proximité du fleuve, implique des crues plus violentes dont on conçoit qu’elles aient pu faire disparaître totalement l’aménagement. Le tracé proposé par B. Lafont 38, qui voit le canal se poursuivre en direction d’Abu Keml, nous semble tout à fait cohérent. Le chenal d’écoulement et les digues Une tranchée (fig . 11) a pu être ouverte au bulldozer 39 dans la section d’El Hasrt. Elle nous a permis de constater que l’ouvrage a été édifié par amoncellement de matériaux divers, tous plus grossiers que le matériau constitutif de la terrasse sous-jacente. Celle-ci offrait à l’origine une surface en pente légère du nord -est vers le sud-ouest, ce qui correspond à la contrepente naturelle de la terrasse , et accusant de légers reliefs, entre 50 cm et un peu plus d’1 m. Les digues ont, de toute évidence, souffert de l’érosion : elles étaient, à l’origine, plus hautes et plus massives. Le chenal d’écoulement a connu des réaménagements successifs : les traces repérées , sous forme de lentilles concaves , ne dépassent pas 6 à 7 m de large, ce qui peut indiquer des chenaux d ’ une dizaine de mètres au maximum des écoulements, sans doute moins en fonctionnement normal. Il est probable que la lame d’eau ne devait pas excéder 0,5 à 0,6 m d’épaisseur, sauf en cas de surcharge (cf. ci-dessous), volontaire ou involontaire. Les dimensions imposantes du canal sont donc sans commune mesure avec les volumes d’eau qui pouvaient y transiter en temps normal. Le caractère massif de l’aménagement n’est pas lié à son mode de fonctionnement, mais à la nécessité de le préserver autant que possible des actions érosives des crues de l’Euphrate par sapement latéral, ainsi que des écoulements intempestifs que celles-ci pouvaient provoquer dans le chenal. Le remblai a probablement été conçu et réalisé dans ce but, le chenal d’écoulement étant recreusé dans la masse, au gabarit voulu. Les canaux secondaires Le mauvais état de conservation de cet aménagement rend difficile la perception d’éventuels canaux secondaires. Une trace, partant de la section de Hasrt et se dirigeant vers le sud-sud-est, nous semble pouvoir être interprétée comme telle. Sa localisation, dans un segment assurément construit en remblai, rend l’hypothèse plausible. Il en va de même 38 - LAFONT 1992, p. 105. 39 - Nous remercions vivement M. Nabih Chawa, directeur du GOLD, qui a mis à notre disposition un engin de terrassement pour effectuer cette coupe. 40 - LAFONT 1992, p. 100. Toutefois, le texte ne le dit pas explicitement, puisqu’il y est écrit : « on avait retenu l’eau en direction de Dîr ». 41 - Notre prospection n’a pas permis de retrouver de trace d’un site à Abu 193 pour un tronçon orienté nord-ouest - sud-est, situé près de Tell Mankut (3 ). Le débouché Quelle était l’extrémité de ce canal dont nous perdons la trace, sur le terrain, peu en amont de Tell Hariri ? Se terminait-il en aval par un simple réseau de ramifications qui recevaient la juste quantité d’eau nécessaire à l’irrigation des terres adjacentes ou finissait-il par un exutoire, par lequel pouvait s’écouler l’eau excédentaire ? La première hypothèse suppose une régulation parfaite des débits sur la totalité du parcours et un contrôle sans faille de la répartition de l’eau afin que les parcelles les plus éloignées puissent recevoir le volume d’eau adéquat, ce qui est peu vraisemblable. Dans la seconde hypothèse, le point d’aboutissement pourrait être l’Euphrate lui-même, un ancien méandre ou un oued. Pour B. Lafont, qui fonde ses raisonnements sur le texte d’époque paléobabylonienne déjà évoqué ci-dessus, le canal « retrouvait l’Euphrate au niveau de Dîr » 40, c’est-à-dire près de l’actuelle ville d’Abu Keml 4 , ce qui nous semble tout à fait plausible. Cependant, d’après ce même auteur , il « recevait en outre l’eau en provenance du Balih, nom sans doute donné dans l’Antiquité au wdi de Dîr (identifié au wdi d’Abu Keml) » 42, l’actuel W. er Radqa. Ce dernier point pose problème. Le débouché d’un oued est une zone difficile à aménager, en raison des crues dévastatrices qui s’y produisent, tout particulièrement lorsqu’il a l’importance du W . er Radqa . Les travaux à entreprendre sont considérables et ne peuvent se justifier que s’ils sont, en quelque sorte, « rentables ». Le prolongement du canal, audelà de l’actuelle ville d’Abu Keml, ne pouvait dès lors s’envisager qu’à la condition que les superficies de terre à irriguer en aval aient été importantes, ce qui ne semble pas avoir été le cas 43. Pour autant, cette hypothèse ne peut être rejetée. Il nous semble cependant que l’hypothèse d’un débouché du canal d’irrigation peu en amont d’Abu Keml, dans un chenal de décrue naguère encore fonctionnel (cf. carte h .- t . V), est plus plausible. Dans ce cas, l’incident relaté dans Nuit dramatique à Mari aurait pu se produire au débouché du Wdi Bir el Ahmar, aux crues moins violentes que celles du Wdi er Radqa. 1 Témoignages — OPPENHEIM 1900, sur la carte dessinée par R. Kiepert, 1893 : entre Gafl‘a [= El Kita‘a] et Tell el Madk‚k [= Tell Medk‚k], Keml ou à proximité. Il reste possible qu’il ait été détruit par le fleuve ou recouvert par la ville actuelle, comme cela s’est passé à Deir ez Z¨r. 42 - LAFONT 1992, p. 99. 43 - Nous resterons prudents sur ce dernier point, dans la mesure où nous n’avons pas eu l’occasion de parcourir ce secteur, trop proche de la frontière avec l’Iraq. 194 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Plusieurs éléments permettent de proposer une datation pour cet aménagement. Le plus tangible est fourni par la céramique . Le ramassage systématique effectué sur la section de Hasrt nous a permis de récolter 14 tessons : le seul que l’on puisse dater remonte au Bronze moyen 47. Sur un probable canal secondaire qui se trouve près de Tell Mankut, cinq tessons typiques ont été ramassés ; les deux que l’on peut dater indiquent eux aussi le Bronze moyen 48. Dans les deux cas, on peut supposer qu’ils correspondent à la dernière période de fonctionnement du canal, celle des derniers curages. Un seul indice nous permettrait d ’ envisager son fonctionnement à une autre époque : il s’agit de la présence, juste en amont de l’alvéole, de Doura-Europos. Pour son approvisionnement, cette ville avait besoin d’un terroir qui ne pouvait produire qu’à la condition d’être irrigué. La documentation retrouvée sur le site n’est pas très explicite et ne permet pas de connaître les modalités de cette irrigation. Petite irrigation ? Ou système centralisé sous l’autorité du gouverneur ou d’un responsable spécialisé ? Les inscriptions et les papyri ne mentionnent pas une telle charge. Par ailleurs, les vestiges de ce canal, retrouvés en bien plus mauvais état que ceux du Nahr Sa‘¬d de l’alvéole de M¨hasan, plaident en faveur d’une dernière période d’utilisation beaucoup plus ancienne, antérieure à l’époque romano-parthe. Le dépeuplement apparent à l’époque néo-assyrienne et, auparavant, au Bronze récent, de ce secteur aval de rive droite ne permet guère d’en envisager une mise en valeur à grande échelle. Il est donc vraisemblable que ce canal ne fonctionnait déjà plus. Son utilisation au Bronze moyen, en revanche, ne fait guère de doute. Outre les tessons mentionnés ci-dessus, la documentation épigraphique paléobabylonienne fait état d’un canal (de canaux ?) dans l’alvéole de Mari, en particulier, semble-t-il, celui dont parle Sûmû-Hadû 49 et sur lequel survint l’incident évoqué ci-dessus. Certes, il nous est difficile de l’identifier avec certitude à la trace retrouvée, mais on peut penser que cette dernière, la seule repérable sur le terrain, pourrait lui correspondre. À quel moment ce canal a -t-il été construit ? En l’absence de preuve archéologique irréfutable, nous sommes obligés de recourir à une argumentation d’ordre historique. Comme le souligne J.-M. Durand 50, l’analyse des archives de Mari montre que le début du IIe millénaire n’est pas une époque de création d’un réseau de canaux. Sous Yahdun-Lîm, on restaure des canaux existants après une période d’abandon et, sous Zimrî-Lîm, on veille à entretenir ce réseau. Les incidents relatés par les gouverneurs et les travaux incessants qu’ils sont obligés d’entreprendre en divers points du réseau semblent témoigner de leur mauvais état général. L’aspect colossal de ces canaux, tel que les vestiges retrouvés permettent de le reconstituer, laisse penser que ces faiblesses sont dues plus à leur vétusté et à un entretien insuffisant qu’à l’éventuelle médiocrité de leur construction. On peut donc envisager que ce canal ait été construit au IIIe millénaire. Deux hypothèses ont été émises, l’une faisant remonter sa création au moment de la fondation de la ville au début du IIIe millénaire 5 , l’autre la situant dans le dernier quart de ce millénaire , à l ’ époque des ¢akkanakku 52. Cette seconde hypothèse semble avoir été abandonnée par son auteur qui envisage deux solutions contradictoires ; il réfute d’une part l’idée d’un grand réseau d ’ irrigation , ne voyant qu ’ une « série de structures discontinues, fragmentaires, fonctionnant de bric et de broc 53 », tout au plus l’amorce d’un système qui aurait été exploité à des périodes postérieures, néo-assyrienne ou islamique 54. Il envisage d’autre part, bien que « rien ne nous 44 - La seule mention d’une culture d’été pourrait concerner le sésame, mais elle est loin d’être assurée (cf. chap. IV, p . 6$ et notes 13 et 14). 45 - DURAND 1990 a, p. 136-137 ; LAFONT 1992 (cf. annexe 3, texte 11). 46 - LAFONT 1992, p. 97 et p. 100, n. 27. 47 - Cf. annexe 2 et pl. 119 (1 7 1 66). 48 - Cf. annexe 2 et pl. 119 (1 7 1 9-11 720 720). 49 - C’est ainsi qu’il a été identifié (DURAND 1990 a, p. 136 ; 1998, no 813 ; LAFONT 1992). 50 - DURAND 1990 a, p. 130-131 ; 1998, p. 576-577. 51 - MARGUERON 1988 a, 1990 b et 1991 b. 52 - DURAND 1990 a, p. 132. 53 - DURAND 1998, p. 625, n. j, ou p. 575 : « ces travaux devaient être d’une ampleur limitée et il ne faut pas les surestimer ». 54 - Ibid., p. 575. mention d’un « Ant. Damm » [digue antique] à l’emplacement d’un des tronçons du canal. Fonction du canal et datation Il ne fait guère de doute que cet ouvrage était dévolu à l’irrigation. Les conclusions des prospections sur le terrain et les interprétations des textes anciens vont bien dans ce sens. Il nous semble aussi que cette irrigation ne devait concerner que des cultures d’hiver et de printemps. En effet, les recherches archéobotaniques n’ont fourni aucun indice de culture d’été pour les époques du Bronze ancien et du Bronze moyen dans la région, et les textes cunéiformes n’en mentionnent pas 44. De plus, l’absence de sites le long du canal plaide pour un fonctionnement non pérenne . Le témoignage des tablettes permet d’affirmer qu’il pouvait également être utilisé pour transporter le grain 45. Il nous semble pourtant peu probable qu’il ait pu supporter une navigation commerciale. Les dangers que représentait un gonflement des eaux dans le canal, parfaitement illustrés par le texte commenté dans Nuit dramatique à Mari, plaident pour une utilisation très temporaire de l’ouvrage à cet effet. Le plus probable est que cette fonction de transport ait été limitée, et ce de façon exceptionnelle, à l’évacuation des récoltes céréalières, hypothèse qui semble convenir aussi bien à l’épigraphiste qu’au géographe 46. 1 Avant-Propos Les aménagements hydrauliques 195 195 l ’ affirme » , que les canaux de l ’ époque de Zimrî - Lîm peuvent « assurément avoir été la survivance (ou la reprise partielle) d’un système plus complexe mis en place au début du III e millénaire , à une époque antérieure de toute façon à l’époque des ¢akkanakku » 55. C’est effectivement au moment de la fondation de Mari qu’il nous semble le plus plausible de faire remonter le creusement de ce canal d’irrigation. Il serait assez invraisemblable que les concepteurs de cette ville n’aient pas pris le soin d’aménager son terroir agricole . Dans leur volonté de s ’ affranchir des contraintes d’implantation d’un site, ils furent capables de réaliser des travaux Fig. 13 - Traversée du site de Jebel Mashtala (carte III, carré J12, no 68) par le canal du même nom, vue vers l’amont. colossaux, comme le creusement d’un canal d ’ amenée d ’ eau et la construction d’une digue-enceinte longue de plus de 5,5 km. précisément à la fin de l’époque kassite. L’hypothèse que La construction de canaux d’irrigation était tout aussi l’on peut dès lors formuler est celle d’une remise en fonction indispensable, sinon vitale, pour cette cité : ils permettaient du Nahr Dawr¬n, au moins jusqu’à l’amont de l’alvéole — de subvenir, au moins partiellement, aux besoins en céréales et vraisemblablement pas au-delà —, après une probable période d’abandon au début du Bronze récent. d’une population sans doute déjà nombreuse. Le peu de renseignements dont nous disposons rend délicate la formulation d’hypothèses concernant la fonction Les canaux de rive gauche de ce canal. Certes, il approvisionnait le site en eau, ce qui Bien que les terres situées en rive gauche du fleuve soient peut laisser supposer que celui-ci, bien que situé en bordure moins propices à la grande irrigation que celles de rive droite d ’ un paléoméandre , n ’ était pas localisé à proximité (cf. ci-dessus, p . 1 $$), des aménagements très probablement immédiate du fleuve. Mais cette seule fonction ne semble liés à une mise en valeur agricole ont pu y être repérés. Ils pas pouvoir justifier un tel aménagement, surtout s’il était sont situés, et ce n’est pas un hasard, dans la plus grande et connecté au Nahr Dawr¬n, déjà long de près de 40 km à son la plus homogène des alvéoles de rive gauche, celle d’Abu débouché sur l’alvéole. Une utilisation pour l’irrigation ne Hammm (cf. carte h .- t . III). peut être exclue, d’autant qu’à la même période et dans la même alvéole, d’autres sites et un second canal attestent une grande activité agricole. Le canal de Jebel Mashtala Cet aménagement pose un problème particulier , puisqu’il ne nous est guère connu que dans sa traversée du Le canal d’El Jurdi Sharqi site de Jebel Mashtala (6 8 ; fig . 1 3 et chap. IV, fig . 1 4), en Situé à quelques kilomètres en aval du précédent, cet aval immédiat duquel il se jetait dans un paléoméandre du ouvrage est mieux conservé. Il n’est pour autant repérable fleuve. Si l’on admet qu’il s’agit bien là de la trace d’un de manière certaine que dans sa partie amont, là où il est canal, ce qui est fort probable mais qui ne pourra être certifié creusé dans la terrasse Q0a afin de rattraper la différence de que par une fouille 56, la configuration des lieux, la cohérence niveau avec le fleuve. de l’aménagement, le contexte topographique local nous amènent à y voir un ouvrage relié en amont au Nahr Dawr¬n, La prise d’eau long canal prenant sa source dans le Khb‚r et sur lequel Sa localisation ne pose pas de problème, la section amont nous reviendrons plus longuement ci-dessous. La céramique récoltée sur le site , aussi bien en du canal étant bien conservée malgré un fonctionnement, prospection qu’en fouille, remonte au Bronze récent, plus postérieur, en chenal de crue. La prise s’effectuait dans un 55 - DURAND 1998, p. 576. 56 - La fouille réalisée en 1996 sur ce site n’a pas concerné le « canal » (ROUAULT 1998 b). 196 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 185 ❚ ❚ ❚ ❚ Q0a ❚ ❚ île ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Q00 200 m ❚ N ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Fig 0 ❚ ❚ ❚ ❚ 182,7 ❚ ❚ 185 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ EUP ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ arqi rdi Sh d'El Ju ❚ ❚ canal ❚ ❚ 184 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 186,5 ❚ ❚ Q0b ❚ ❚ HRA TE ❚ ❚ ❚ ❚ El Jurdi Sharqi 4 (90) . 14 - La prise d’eau du canal d’El Jurdi Sharqi et le site d’El Jurdi Sharqi 4 (carte III, carré J13, n paléoméandre du fleuve (fig . 1 4), un peu au nord du village actuel d’Abu Hard‚b. L ’ aménagement a sans doute connu quelques vicissitudes . En effet , des blocs de dalle calcaire conglomératique, jetés volontairement 57 peu en amont de la prise et fossilisés dans la formation Q0b, laquelle est datable du Bronze récent, ne peuvent guère être interprétés que comme les témoins d’une très ancienne tentative de s’opposer au développement du méandre. Le tracé Comme pour les autres cas répertoriés dans la vallée, le canal s’éloigne à angle droit du méandre avant de prendre une orientation proche de l’axe de la terrasse. Le chenal, certainement élargi du fait des crues qui l’ont emprunté, est large d’une quinzaine de mètres et est encaissé de moins d’1 m. À un peu plus d’1 km de sa prise, il se divise en deux branches (cf. chap. IV, fig . 1 6) : celle de droite, plus nette et se subdivisant elle-même en deux autres branches, a peutêtre eu une existence plus longue. Plus à l’aval, seuls l’alignement des sites, le fait que leur approvisionnement en eau ne pouvait être assuré que par un canal et la présence de quelques buttes , probables vestiges de ce canal , notamment entre les sites d’Abu Hard‚b 1 (1 2 6) et de Has¬yet el Blli (7 1), nous permettent de restituer son tracé. $$), les blocs 57 - Cette dalle n’existe pas en rive gauche (cf. chap. I, p . $$ ont donc été transportés depuis le plateau en rive droite du fleuve. o 90) . Le débouché Il ne nous est pas connu avec certitude, mais pourrait correspondre à un chenal de décrue bien marqué qui rejoint un paléoméandre du fleuve non loin des sites de Kharij 2 (1 38) et de Tell es Sufa (1 40). Fonction du canal et datation Sa localisation au cœur d’une des principales alvéoles de rive gauche ne laisse guère de doute sur sa fonction qui était très probablement l’irrigation. Plusieurs sites jalonnent ce canal : Tell Marwniye (7 3), El Jurdi Sharqi 3 (7 4), Abu Hard‚b 2 (1 27), Abu Hard‚b 1 (1 26), Has¬yet El Blli (7 1) et probablement J¬sh¬ye (1 28) et Has¬yet ‘Ab¬d (1 39). Leur éloignement de l’Euphrate fait du canal un élément indispensable à leur existence. On peut donc déduire de leurs datations respectives que ce canal fonctionnait au Bronze récent, à l’époque néo-assyrienne et sans doute à l’époque classique. Le site d’El Jurdi Sharqi 4 (9 0), à la prise d’eau, confirme cette dernière hypothèse. Le terroir qu’irrigue ce canal est très proche de Doura-Europos ; cette proximité renforce encore la probabilité de son fonctionnement à l’époque classique. Un fonctionnement dès le Bronze moyen n’est pas impossible : un site, Has¬yet ‘Ab¬d (1 39), semble attester, d’après la céramique 58, une occupation remontant au début 58 - Cf. annexe 2 et pl. 106-107. Avant-Propos Les aménagements hydrauliques 197 197 du II e millénaire . On rappellera cependant que l’implantation de sites le long d’un canal ne semble pas le mode en usage à cette époque. Par ailleurs, le Bronze récent, durant lequel le fonctionnement du canal est assuré, ne semble pas être une époque où l’on ait eu les moyens politiques de construire des canaux ; tout au plus dut-on maintenir en état certains de ceux qui existaient. Dès lors, compte tenu de l’important aménagement de la vallée à l’époque de Mari attesté par les textes , on ne peut rejeter l’hypothèse que ce canal fût déjà en usage au début du IIe millénaire, peutêtre même dans le courant du IIIe, et qu’il ait été réutilisé ensuite. LES CANAUX D ’ ÉVACUATION DES EAUX Fig. 15 - Trace du canal d’évacuation des eaux de l’alvéole de Tell Hariri, après une pluie. Les systèmes modernes d’irrigation mis en place dans la vallée de l’Euphrate depuis le début des années 1980 comportent un réseau de drainage doublant le réseau d’adduction. Cet aménagement complexe s ’est révélé indispensable pour deux raisons principales : d’une part les quantités d’eau très importantes que nécessitent les pratiques culturales de type industriel (plusieurs récoltes annuelles), d’autre part la faible transmissivité de la nappe phréatique et les risques de remontées d’eau salée par capillarité. L’existence d’un réseau de ce type n’a pu être mise en évidence pour les époques anciennes, ce qui semble indiquer qu’il n’y eut pas alors suralimentation de la nappe. En revanche, dans les alvéoles d’El ‘Ashra et de Tell Hariri, au contact de la plaine holocène et du plateau, nous avons pu repérer les traces de chenaux larges de 8 à 10 m qui longeaient le pied des falaises, sans doute tout le long des alvéoles. Ces traces, très nettes après les pluies (fig . 1 5), sont souvent peu visibles , localement effacées ou encore colmatées par de petits cônes de pied de versant. Elles empruntent la dépression périphérique longiligne, créée par la contrepente naturelle de la terrasse Q0a à son point de jonction avec le bas de pente du plateau (cf. chap. II, fig . 11), là où se rassemblent les eaux de ruissellement engendrées par les précipitations ou par les crues. Le canal de l’alvéole d’El ‘Ashra Nous ne l’avons repéré qu’à proximité du Wdi el Kh¨r. En fait, sa trace, large d’une dizaine de mètres, est déjà visible 59 - Rappelons que ces dernières, bien que rares, peuvent être violentes. peu en amont, à proximité du méandre d’Et Ta‘as el Jiz (cf. carte h .- t . II). Le canal est légèrement creusé dans la terrasse ; il contourne un des promontoires du Kh¨r Fagr Kh¨rn avant de recouper la zone du débouché du Wdi el Kh¨r qu’il traverse en ligne droite, marquant ainsi clairement son caractère artificiel. Sa trace se perd rapidement vers l’aval. Peut-être passait-il à proximité de Dabln (204) où nous avons repéré une trace en creux, très peu marquée, mais longue de près de 3 km (cf. carte h .- t . III). Le canal de l’alvéole de Tell Hariri Situé lui aussi à la périphérie de la plaine holocène, il suit le pied des falaises (fig . 1 6), encore bien visible entre Maqbarat el Mujwda el Keb¬re et le cône du Wdi Bir el Ahmar (cf. carte h .- t . IV et fig . 1 7 et 1 8), où il s’inscrit, en un léger creux large de 8 à 10 m, à la surface de la terrasse Q0a. Fonction et datation de ces canaux Une tranchée réalisée dans le canal bordier de l’alvéole de Tell Hariri a révélé une trace peu profonde (environ 0,5 m), ce qui exclut toute possibilité de drainage de la nappe phréatique. On peut donc penser qu’il s’agissait d’ouvrages servant à évacuer les eaux résiduelles après les précipitations 59 ou après les crues, que celles-ci proviennent de l’Euphrate ou d’oueds affluents. Ces eaux avaient tendance à stagner dans ces secteurs bas de la vallée, ce qui empêchait la mise en culture et participait au relèvement des nappes. Les cartes hors-texte (par ex. carte h .- t . IV, 198 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Fig. 16 - Le canal d’évacuation des eaux de l’alvéole de Tell Hariri, longé par la piste, au pied des falaises du plateau de Shamiyeh. E O 2 terrasse Q0a 178 glacis 1 177 0 176 –1 175 0 50 100 150 m niveau moyen de la terrasse alluviale Fig. 17 - Coupe en travers du canal d’évacuation des eaux de l’alvéole de Tell Hariri. Fig. 18 - Le canal d’évacuation des eaux de l’alvéole de Tell Hariri, au sud de Maqbarat el Mujwda el Keb¬re, vu vers l’amont. Avant-Propos 199 Les aménagements hydrauliques ❚ carré N18) permettent de visualiser les chapelets de petites dépressions fermées qui s’égrènent le long des plateaux et entravent l’écoulement des eaux. Leur drainage par un canal, simple creux large de quelques mètres et peu profond , permettait la mise en valeur de ces secteurs trop longtemps inondés et insalubres , tout en autorisant simultanément l ’ évacuation d’éventuelles eaux d’irrigation excédentaires en fin de réseau. Conçus dans le cadre d’un aménagement global de chacune des alvéoles, avec une fonction complémentaire de celle des canaux d’irrigation, ils ont vraisemblablement été creusés et utilisés en même temps que ces derniers. 199 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ r e l K ha ❚ bu ❚ r ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ 209,8 ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ Na h ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ 200 ❚ 198,6 ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 210,7 ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ 0 ❚ ❚ 20 ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ 198,5 198,5 ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ 0 N 200 m ▲ Da wr in ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ 203,8 ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 208,9 ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 200,4 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ Le plus étonnant des aménagements de la vallée, le plus inattendu aussi, est le Nahr Dawr¬n, un long canal courant en rive gauche, alimenté par le Khb‚r et aboutissant à l’Euphrate sous les falaises d’Ersi, en face d’Abu Keml. ▲ ▲ Le Nahr Dawr¬n Na hr ▲ ❚ ▲ ❚ 198,8 ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ 197,5 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Deux ouvrages, situés en rive gauche, se distinguent par leur longueur inhabituelle et par leur tracé très particulier. Issus l’un du Khb‚r, le Nahr Dawr¬n, l’autre de l’Euphrate, le Nahr Sémiramis, ils circulent le plus souvent sur les glacis et les terrasses pléistocènes qui bordent la vallée holocène, restant ainsi hors de portée des inondations qui y déferlent fréquemment. Le premier aurait eu près de 120 km de long, le second plus de 80 km . Tous deux sont des ouvrages hors normes pour la région. ❚ ❚ ❚ 200,9 200,4 LES CANAUX DE NAVIGATION ❚ ❚ ❚ Fig. 19 - Le Nahr Dawr¬n près du hameau d’Es Sijr (vallée du Khb‚r). La prise Celle-ci a sans doute pu se situer en différents endroits au cours de la longue histoire de ce canal (cf. ci-dessous, $$), mais elle a toujours été située sur le Khb‚r, profitant p . $$ ainsi des eaux d’une rivière à alimentation karstique. Notre prospection nous a amenés près du hameau d’Es Sijr, où l’on situe traditionnellement la prise d’eau 60. À cet endroit, le canal se trouve sur la terrasse holocène, à proximité immédiate du cours d’eau (fig . 1 9), alors qu’en aval, il s’en tient toujours à distance. Certes, l’endroit exact de la prise ne nous est pas connu, mais la configuration du terrain se 60 - Cf. ci-dessous, Témoignages ; les deux hameaux de El Kheje/El ºöne/ Höjneh/Tell ºidjnah/Tall Hena et de Es Sijr/as-Sicer/Secher/As-Sir sont situés de part et d’autre du Khb‚r, à environ 18 km à vol d’oiseau de la prête, là, particulièrement bien à un tel aménagement, alors qu’en amont d’Es Sijr, aucune trace de canal n’est visible sur la terrasse holocène. L ’ hypothèse formulée par P . J . Ergenzinger et H. Kühne 6 selon laquelle ce canal aurait eu, du moins à l’époque néo-assyrienne, sa prise nettement plus en amont sur le Khb‚r est envisageable, puisque ces chercheurs ont mis en évidence , pour cette période , un réseau d’aménagements hydro-agricoles important et complexe des deux côtés de la rivière. Selon eux, le canal de rive gauche, donc à l’est, qui serait venu se raccorder en aval au Nahr Dawr¬n, aurait tiré son eau du Jaghjagh, un affluent de rive gauche du Khb‚r. 1 confluence avec l’Euphrate. 61 - ERGENZINGER et KÜHNE 1991. 200 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT L’alimentation terrasse holocène et, dans le cas particulier de ce canal, le Nous avons vu que le Nahr Dawr¬n prenait son eau, du niveau des glacis développés sur les plus basses terrasses moins pour l’essentiel, du Khb‚r. Il profitait ainsi des pléistocènes. Sur ces dernières, la pente de l’ouvrage s’établit apports d’un cours d’eau au débit (fig . 20 a) régulé par ses à 0,30-0,31 ‰ sur plus de 60 km, avant de retrouver des sources karstiques. On conçoit aisément les avantages d’une valeurs plus faibles, de l’ordre de 0,22 à 0,24 ‰ en moyenne telle alimentation. Certes, les débits mensuels les plus élevés dès lors que le canal a retrouvé la surface de la terrasse (janvier et février) peuvent être relativement importants, holocène. Dans ce dernier cas, le résultat de nos estimations mais , consécutifs à des averses , ils se produisent peut être assez largement faussé par le fait qu’un éventuel généralement sur des périodes courtes . Les variations creusement du canal dans la terrasse peut nous échapper, saisonnières sont relativement limitées : à Es Suwar, c’est- suite à son comblement, ce qui réduit d’autant la pente. à-dire non loin en amont de la probable prise d’eau, elles ne Points Altitude Dénivelée Distance Distance Pente canal dépassent guère, en moyenne, le du point en m par en km depuis en m par en ‰ quintuple des débits des mois en m rapport au l’origine rapport au point précédent point précédent d’étiage (juillet et août) . Ces derniers, toujours soutenus et 1 200 0,08 80 constamment supérieurs à 2 199 1 8,7 8 620 0,12 20 m3/s (débit moyen mensuel), peuvent être considérés comme 3 196 3 18,2 9 500 0,31 ayant été suffisants à assurer la 4 192,5 3,5 29,2 11 000 0,31 pérennité de fonctionnement de 5 188 4,5 44,1 14 900 0,30 l ’ ouvrage . Plus remarquable encore est la faible variabilité 6 180 8 70,7 26 600 0,30 interannuelle des débits moyens 7 175,2 4,8 89,5 18 800 0,26 de la rivière (fig . 20 b) qui ne fait apparaître que des variations du 8 172 3,2 107,2 17 700 0,18 simple au double, ou guère plus, Total 28 107,2 107 200 0,26 ce qui est notablement peu pour un cours d’eau de région aride ; Les calculs des valeurs de pente ont été effectués d’après l’altitude actuelle du fond du chenal, donc sans rappelons à ce propos que, sur considération de comblements éventuels. Tableau 2 - Pente par sections le long du Nahr Dawr¬n. l’Euphrate, le rapport peut être de 1 à 6. Ce dernier fait permet de supposer une utilisation de l’ouvrage sur le moyen, sinon Le plus souvent, l’ouvrage était tracé sur les glacis aux sur le long terme, beaucoup plus sûrement que si la prise pentes douces qui relient la basse plaine au plateau de Jézireh, s’était trouvée sur l’Euphrate. limitant ainsi les travaux de terrassement tout en le mettant Des calculs effectués sur les canaux du Khb‚r 62, dont hors d’atteinte des crues du fleuve. Dans deux cas cependant, l’envergure est comparable à celle du Nahr Dawr¬n, ont des méandres du fleuve, en venant lécher le plateau, ont permis d’évaluer un débit d’environ 2 m3/s et une vitesse imposé le passage dans les formations pléistocènes du QII. d’environ 0,3 m/s. Ces valeurs qui paraissent raisonnables, À Darnaj et à El Kishma, de véritables tranchées de plus de compte tenu du débit minimum de 20 m3/s, même en période 10 m de profondeur ont dû être creusées sur plusieurs d’étiage, sont probablement applicables au Nahr Dawr¬n. centaines de mètres de long pour assurer la continuité de l’aménagement. Le tracé Nous avons pu reconstituer son tracé sur près de 116 km. La largeur du chenal, estimée d’après les vestiges visibles, atteignait entre 8 et 11 m. Sa pente était de l’ordre de 0,26 ‰ (tableau 2). Sur les neuf premiers kilomètres, elle n’est que de 0,12 ‰, alors que la pente générale de la vallée du Khb‚r est plus forte que celle de la vallée de l’Euphrate. Ce fait peut s’expliquer par la nécessité de rattraper le niveau de la 62 - ERGENZINGER 1987, p. 35. 63 - Voir ci-dessous, p . $$$. Cf. aussi BERTHIER et D’HONT 1994, BERTHIER Le chenal d’écoulement et les digues En plusieurs points où l’ouvrage est remarquablement bien conservé, nous avons pu effectuer des mesures et faire des observations particulières. Il faut cependant souligner que le canal a été utilisé jusqu’à l’époque islamique 63, au moins sur le tiers amont de son cours, le mieux conservé. Les mesures que nous y avons effectuées se rapportent donc et al. 2001. Avant-Propos 201 Les aménagements hydrauliques 201 m3/s 220 200 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 O N D J F M A M J J A S débit maximum moyen mensuel débit moyen mensuel débit minimum moyen mensuel a - Débits moyens mensuels du Khabur à Es Suwar 3 m /s 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 49/50 50/51 51/52 52/53 53/54 54/55 55/56 56/57 57/58 58/59 59/60 60/61 61/62 62/63 63/64 b - Variabilité interannuelle des débits moyens du Khabur à Es Suwar Fig. 20 - Débits moyens mensuels et variabilité interannuelle du Khb‚r à Es Suwar pour la période 1949 à 1964 (d’après KERBÉ 1979). 202 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT plus probablement à son état à cette époque, même si, l’ouvrage étant incontestablement plus ancien, les grandes lignes sont également valables pour les phases de fonctionnement antérieures. La section de Darnaj est (Euphrate) ou tracé B : cartes h .- t . II et III et fig . 23 À hauteur du site de Darnaj (8 6), le canal présente deux états sans doute chronologiquement distincts. Cet endroit est marqué par un rétrécissement de la terrasse holocène, étranglée entre l’Euphrate et un promontoire du plateau. Pour pouvoir passer l’obstacle, l’ouvrage a dû être creusé dans les alluvions grossières de la terrasse QII. La dépression axiale y fait 5 à 6 m de large (fig . 24), mais elle est partiellement comblée par des colluvions et pouvait donc être un peu plus large. La tranchée qui l’accueille peut atteindre près de 10 m de haut. Elle rejoint le fond de vallée holocène peu en aval de Darnaj, une fois l’obstacle franchi. Il s’agit là de la section la plus impressionnante de ce grand canal de rive gauche. Il y est creusé dans la terrasse pléistocène QII (fig . 25), très probablement pour éviter un méandre qui avait détruit le premier tracé, évoqué ci-dessus. A. Ozer, qui a découvert des fragments de céramique islamique dans les alluvions qui comblent le canal du tracé A ainsi que dans celles du tracé B, suppose « que l’abandon du premier chenal et le creusement du second dateraient de l’époque islamique » 64. Si un fonctionnement, à cette époque, du tracé B est certain (cf. ci-dessous), il est plus étonnant pour le tracé A. En effet, si l’on admet l’antériorité du tracé A sur le tracé B — ce qui semble logique —, comment expliquer la présence de céramique, certes en quantité restreinte, des époques du Bronze moyen à néo-assyrienne 65 sur les digues du canal B ? Il n’est pas impossible que la céramique retrouvée dans les alluvions du canal A provienne du site de Darnaj (8 6) dont K. Simpson 66 nous dit qu’il a fourni de la céramique d’époque médiévale. La dépression axiale conserve, dans cette section, une largeur de 10 à 12 m, la tranchée qui l’accueille pouvant atteindre 15 m de haut (fig . 26). Le profil en long du plancher n’est pas régulier, mais entrecoupé de contrepentes 67. Ce fait est clairement imputable au débouché, dans l’ancien chenal, d’oueds qui y ont déposé des sédiments. Une coupe (fig . 27 et 2 8), ouverte par l’exploitation d’une gravière, dans la digue est du canal, dans la partie aval de cette section, permet de distinguer au moins deux unités différentes (a et c) séparées par une ligne de galets (b). La première (a), à la base de la digue, correspond à la phase de creusement du canal : le noyau central, ici décalé vers l’est, a probablement été constitué à partir des limons qui couvraient les galets et les graviers de la formation QII, lesquels sont venus couvrir partiellement le noyau . La deuxième unité (c) correspond très certainement à une phase de curage du chenal. En amont de cette section, les traces laissées par les différents états de l’aménagement sont nombreuses et complexes (cf. carte h . - t . II, carré I10, et f i g . 2 3). Il semblerait que l’on ait eu un premier tracé qui, abandonnant le glacis, pénétrait sur la terrasse Q0a pour se diriger vers la tranchée de la section de Darnaj. Suite au développement du méandre qui est venu détruire ce premier tracé, un second aurait été réalisé qui partait du premier à 4 km environ en amont de la tranchée de Taiyni, laissant ainsi au canal la possibilité de gagner un peu d’altitude pour éviter par l’amont la zone du méandre assassin. Mais cette solution ne devait 64 - OZER 1997, p. 123. 65 - Cf. annexe 2, pl. 119 : 1 7 1 3 à 1 7 1 5. 66 - SIMPSON 1983, p. 124. 67 - OZER 1997, p. 123 et fig. 32. La section de Damana (Khb‚r) : hors cartes Cette section amont, située immédiatement en aval de la prise d’eau supposée du canal, est encore conservée sur plus d’1,5 km de long (fig . 1 9). Son envergure totale y est d’un peu plus de 55 m, pour une largeur de dépression axiale de 10 m environ (fig . 2 1 a). La hauteur inhabituelle des digues — entre 3 et 4 m — donne à penser que le chenal était ici creusé profondément, ce qui correspondrait bien à une section proche de la prise d’eau. La section d’El Mshekh (Khb‚r) : hors cartes Le canal y est conservé sur près de 500 m de long, à la faveur d’un passage en tranchée dans une terrasse pléistocène (fig . 22). Son envergure totale y est d’environ 55 m, pour une largeur de dépression axiale de 14 à 15 m (fig . 2 1 b). Mais cette dernière a été élargie par les façons culturales, son plancher étant cultivé en orge. La section de Taiyni (Euphrate) : carte h .- t . II Peu avant d’aborder le secteur complexe de Darnaj, le canal, faiblement creusé dans les formations quaternaires, sinue sur le glacis qui frange le plateau de Jézireh. Son envergure y est d ’environ 60 m , pour une largeur de dépression axiale d’une dizaine de mètres (fig . 2 1 c). Il présente là un aspect que l’on peut considérer comme caractéristique du Nahr Dawr¬n dans la vallée de l’Euphrate. La section de Darnaj ouest (Euphrate) ou tracé A : cartes h .- t . II et III et fig . 23 Avant-Propos 203 Les aménagements hydrauliques 203 a - Tronçon de Damana nord (prise d’eau ?) altitude absolue en mètres altitude relative en mètres ESE ONO 202 4 200 2 198 0 QI Q0a 10 0 20 30 40 50 60 70 80 m b - Tronçon d’El Mashekh altitude absolue en mètres altitude relative en mètres SSE NNO 201 2 199 0 197 –2 10 0 20 30 40 50 60 70 80 m Fond de chenal élargi par les pratiques culturales niveau moyen de la terrasse c - Section de Taiyani altitude absolue en mètres altitude relative en mètres ENE OSO 195 2 194 0 193 –2 192 0 10 20 30 40 50 60 niveau moyen de la surface du glacis Fig . 21 - Coupes en travers du Nahr Dawr¬n. 70 80 90 m 204 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Fig. 22 - Le Nahr Dawr¬n à El Mshekh (Khb‚r), vu vers l’amont. ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ limite du plateau ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ tranchée ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ site ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ entaille d’érosion régressive canal ▲ ▲ talus ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ 188,2 ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ 206,3 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ cimetière ❚ 186,4 ❚ ❚ oued ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 204,4 ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ point coté ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ glacis ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ paléoméandre ❚ ❚ ❚ ❚ 187 ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ 204,4 ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ 200,3 ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ 196,6 ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ Darnaj (86) ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ 188,3 ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ 185,7 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ 198,7 ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ te ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ra Mazar Sheikh ‘Ali ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ph ❚ ❚ ▲ ▲ Eu ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ 198,2 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ 187,4 Fig. 23 - Le Nahr Dawr¬n dans le secteur de Darnaj. Avant-Propos 205 Les aménagements hydrauliques 205 est ouest voir coupe ci-dessous digue est sur QII QII 0 5 chenal digue ouest sur QII QII 10 m Digue est : coupe est-ouest est ouest 3 2 1 0 1 2 3 4 5m 1 : galets et graviers de la formation QII surmontée par 2 2 : limons partiellement indurés par du gypse 3 : digue constituée des déblais de creusement du chenal L’ensemble a été en partie détruit par une gravière. Fig. 24 - Coupe en travers du tracé A du Nahr Dawr¬n au pied du site de Darnaj (carte III, carré I11, no 86). 206 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Fig. 25 - Le Nahr Dawr¬n entaillé dans la terrasse pléistocène à Darnaj, vu vers l’amont. L’affleurement de l’encroûtement sommital de la terrasse marque la limite entre la partie excavée et les digues, constituées des déblais de creusement et de curage. Fig. 26 - Section de Darnaj est (tracé B) du Nahr Daw¬n, vue vers l’amont. Avant-Propos 207 Les aménagements hydrauliques 207 ouest est voir coupe ci-dessous QII digue ouest sur QII 0 chenal d’écoulement 5 digue est sur QII QII 10 m Digue est : coupe ouest-est ouest est b c a 3 2 1 0 1 2 3 4 5m 1 : galets et graviers de la formation QII surmontée par 2 : limons indurés par du gypse dans la partie supérieure de l’horizon 3 : digue constituée des déblais de creusement (a) et de curage (c) du canal, séparés par une ligne de petits galets (b) La surface est pavée de galets et graviers du fait de l’ablation des particules les plus fines. Le noyau central de la digue, limoneux, provient du décapage des limons qui recouvrent les galets de la formation QII. Fig . 27 - Coupe en travers du tracé B du Nahr Dawr¬n à Darnaj. 208 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT promontoire, puis dans le plateau luimême . Les travaux colossaux impliqués par ces tracés problématiques soulignent toute l’importance qui était accordée à cette voie d’eau, importance somme toute peu compatible avec l’exiguïté des surfaces emblavables à l’aval d’Abu Hasan (cf. carte h .- t . V). Les sections d’Esh Sha‘afa et d’Es S‚sa : carte h . - t . V, carré Q19 et carré Q20 Dans cette partie aval de l’alvéole de Tell Hariri, le canal est très mal conservé, ce qui témoigne en même temps de son ancienneté et de son exposition à une érosion aggravée par l’exiguïté de la vallée. Il n’est plus ici Fig. 28 - Coupe de la digue est du Nahr Dawr¬n à Darnaj (tracé B), vue vers l’amont. établi sur les glacis , mais sur la pas convenir, peut-être en raison d’un problème de pente, terrasse Q0a, sans doute parce qu’à l’approche de son donc de débit ; aussi, dans un troisième temps, un nouveau embouchure dans le fleuve, il se devait de perdre peu à peu tracé a été dessiné qui partait de plus loin en amont. Une de l’altitude. Nous ne l’avons retrouvé qu’à deux endroits, à tranchée, ouverte par un bulldozer, dans le chenal du dernier la faveur de son passage dans des buttes résiduelles de la état du canal (fig . 29), peu en amont de Taiyni, montre la formation QII où la dépression axiale a une largeur de 12 à stratigraphie suivante : à la base de la coupe, la formation 15 m. alluviale QI a servi de plancher au chenal du Nahr Dawr¬n. Celui-ci apparaît sous forme d’une accumulation, d’environ Le problème des oueds affluents 60 cm d’épaisseur, de limons et de graviers incluant des Le canal étant aménagé sur les glacis , entaillant passées de graviers, des coquilles et de rares tessons (non localement le plateau, il était directement menacé par les datables). L’ensemble est recouvert de près de 80 cm de crues des oueds dont il recoupait le tracé. Certains d’entre colluvions qui sont venues fossiliser le chenal après l’arrêt eux, plus importants , ont nécessité des aménagements de son fonctionnement. spécifiques destinés à mieux les intégrer dans l’ouvrage et En aval de la section de Darnaj subsistent les traces de donc à minimiser les risques d’érosion qu’ils généraient. deux branches différentes. Une gravière, ouverte à l’endroit même où elles devaient se raccorder aux tracés décrits cidessus , empêche d ’ établir des liens précis avec eux L’oued d’Es Sijr (vallée du Khb‚r) (cf. carte h .- t . III, carré J11). La première branche, sans Peu en aval de sa prise supposée, le Nahr Dawr¬n longe doute la plus ancienne, car la moins bien conservée, part sur les glacis qui frangent le plateau de Jézireh. À plusieurs les glacis vers l’aval et l’alvéole de Haj¬n. La seconde, qui reprises, des débouchés d’oueds ont imposé un renforcement pourrait correspondre à une phase plus récente de mise en des digues aval afin d’augmenter leur résistance à l’érosion. valeur, se dirige droit vers la terrasse Q0a et, peut-être, vers Dans un cas (fig . 30 a), le tracé a été choisi de façon à le site de Jebel Mashtala (6 8). préserver, sous cette digue aval élargie, un lambeau de formation quaternaire offrant une meilleure résistance à l’érosion. carte h .t . IV La section d’Abu Hasan : Peu en aval d’Abu Hasan (9 ), en un lieu où la terrasse Q0a est une fois encore étranglée entre les méandres du fleuve L’oued de Darnaj (vallée de l’Euphrate) et un promontoire issu du plateau de Shamiyeh, semble s’être Lors de son passage dans le plateau, la branche B, dite posé le même problème qu’à Darnaj. Un premier tracé du de « Darnaj est », reçoit plusieurs oueds importants. À leur canal, qui empruntait la terrasse en serpentant entre les buttes débouché dans le canal, les digues ont été renforcées, tout résiduelles de la formation QII, a été recoupé par un méandre, particulièrement celles qui sont opposées à l’embouchure. imposant un passage beaucoup plus difficile dans le Dans l’exemple présenté figure 30 b, la digue amont, Avant-Propos Les aménagements hydrauliques 209 209 0m 3 colluvions sur glacis 2 horizon d’accumulation de limons et graviers avec passées de graviers, coquilles et rares tessons : chenal du Nahr Dawrin 1 formation QI, constituée de limons sableux incluant des artefacts lithiques levalloiso-moustériens 1 2 Fig . 29 - Coupe dans le chenal du Nahr Dawr¬n dans la section de Taiyni. interrompue par le débouché de l’oued, englobe la section aval de ce dernier, dont le tracé en S est contraint. L’eau qui emplissait le Nahr Dawr¬n noyait également la partie aval de l’oued, recreusée, formant une petite mare qui diminuait les effets des crues et jouait en même temps le rôle de bassin de décantation. Dans cet exemple, les dépôts accumulés en amont immédiat de l’embouchure sont donc probablement contemporains d’une phase de fonctionnement du canal. Ils ont été incisés postérieurement à l’abandon de l’ouvrage par une entaille d’érosion régressive qui a également attaqué les digues et défoncé le chenal du Nahr Dawr¬n. Le débouché Nous savons peu de chose de l’embouchure du Nahr Dawr¬n dans le fleuve, sinon que la tradition 68 la place le plus souvent à Bqh‚z, au pied des falaises d’Ersi, face à 68 - Cf. ci-dessous, Témoignages. Abu Keml. Le dernier tronçon, repéré sur le terrain à Es S‚sa (cf. carte h .- t . V, carré Q20), semble confirmer cette localisation. Quoi qu’il en soit, l’étranglement de la vallée, entre le promontoire d’Ard el Bqh‚z et Abu Keml ne permettait en aucune manière au canal de poursuivre sa route vers l’aval. Son débouché se trouvait nécessairement entre Es S‚sa et Bqh‚z, soit sur une section de la vallée longue de 7 km seulement . D’après J.-M. Durand , les textes cunéiformes du début du IIe millénaire retrouvés à Mari procurent des informations qui vont dans le même sens, précisant ainsi que c’est bien à Dêr (Abu Keml) et non à Mari que se réunissent les armées avant leur départ vers la Haute Jézireh, que c’est dans cette localité que se trouve leur quartier général et que cette localisation particulière « … se comprend très bien si la flottille prend ensuite le Nahr Dawrîn pour rejoindre le Habur… » 69. 69 - DURAND 1990 a, p. 136. 210 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT a - schéma des aménagements au débouché d’un oued latéral de rive gauche à Es Sijr (bas Khabur) N chenal du Nahr Dawrin Nahr digue ur ab Kh el ancien méandre sens des écoulements fond de vallée holocène terrasse pléistocène N b - schéma des aménagements au débouché d’un oued latéral de rive gauche sur le tracé B (Darnaj est) chenal du Nahr Dawrin digue entaille postérieure par érosion régressive dépôts de décantation sens des écoulements Fig. 30 - Exemples d’aménagements aux débouchés d’oueds latéraux dans le Nahr Dawr¬n. Avant-Propos Les aménagements hydrauliques Témoignages — AINSWORTH 1888, p. 387 : à hauteur de Irzah/Ezra (Bqh‚z), « the river itself took a south-westerly bend round the plain […] whilst the plain itself was detached from the hills by a canal, called by the Arabs Musah, and it corresponds to the Masca of Xenophon, it must be of great antiquity. » — KIEPERT 1900, carte : le tracé du canal Daur¬n part d’El ºöne sur le Khb‚r et aboutit dans l’Euphrate en face de Sale̬je [= Slih¬ye], en allant à peu près en droite ligne. — B ELL 1 9 1 0 , p . 530 : « Between the Khabur and the Euphrates Kiepert marks an ancient canal, and names it the Daurin. According to the map, it leaves the Khabur at a point opposite to the village of Höjneh, and joins the Euphrates opposite Salihiyeh (Sachau travelled up the left bank of the Khabur, and should therefore have crossed the course of the canal, but he makes no mention of it). The existence of the canal cutting is well know to all the inhabitants of these parts (they call it the Nahr Dawwarin), but they affirm that its course is much longer than is represented by Kiepert, and that it touches the Euphrates at Werdi. My route on the first day lay between the canal and the Euphrates, at a distance that varied from an hour to half an hour from the river, and though I did not see the Dawwarin, its presence was clearly indicated by the lines of kanats (underground water-conduits) running in a general southerly direction—north-north-west to south-south-east, to be more accurate—across ground that was almost absolutely level. » p. 532 : « Within the circuit of a great bend in the channel, the ground for 3 miles or so is extremely low and is partially submerged when the stream comes down in flood. On its eastern side the low ground is bounded by a rocky ridge which crosses the desert from a point a little to the south of the Khabur, passes behind what I suppose to be the course of the Dawwarin, and terminates in the bold bluffs of Irzi at the lower limit of the Werdi bend. When the river is exceptionally high it covers the whole area up to the hills ; my informant, an Arab of the Bu Kemal, remembered having once seen this occur ; but in ordinary seasons it merely overflows a narrow belt and fills a canal that lies close to the eastern hills. The canal is connected by two branch canals with the river, and joins the Euphrates under the bluff of Irzi. The river rises about the middle of April, but the big canal under the hills was still half full of water when I saw it in March, and the crops were irrigated from it by jirds. It is known locally as the Werdiyeh, but I was informed that it was in fact the lower end of the Dawwarin, which joins the Euphrates here and not at Salihiyeh (I looked carefully for any trace of a big canal opposite Salihiyeh, and saw none). » — HERZFELD 1920, p. 386 : « Der Euphrat bespüllte immer den Westrand dieses Gebietes, am Ostrand war in frühislamischer Zeit und wahrscheinlich schon im hohen Altertum ein Kanal angelegt, der vermutlich beim Tell ºidjnah vom Khb‚r abzweigte und sich bei al-Ward¬, gegenüber von Alb‚ Kaml, mit dem Euphrat vereinigte (Abb. 370) » (sur cette carte, le canal est tracé à peu près en droite ligne entre les deux points cités). — ALBRIGHT et DOUGHERTY 1926, p. 16 : « The Euphrates and Khabûr Valleys are here very fertile and water was distributed for 211 211 irrigation by the Semiramis and the Khabûr Canals (Nahr Dawarîn) […]. Other canals there doubtless were, but these two were the most important, constructed before the Assyrian period, as may be demonstrated from our literary sources. » — CUMONT 1926, p. XX, n. 5 : « ce canal, appelé aujourd’hui Nahr-Dawarîn, partait du Khabour à une dizaine de milles en amont de son embouchure et venait lui-même déboucher dans l’Euphrate presque en face d’Abou-Kémal, à l’endroit où les hauteurs qui portent les ruines d’Irzi limitent la plaine vers le Sud. Ses traces sont encore bien visibles, mais il ne contient plus d’eau qu’à l’époque de la crue. Il est probable qu’il remonte à l’époque lointaine des rois de Tirqâ. » — MUSIL 1927, p. 60, n. 44 : « the Dawrîn of today, which branches off from al-øâbûr at the settlement of as-Sukejr. » p. 82 : « Near the last-named place (as-Sicer) the Dawrîn canal branches off. » p. 173 : [un peu avant Kishma] « we observed on our right the ancient Dawrîn canal and thenceforth had to cross all its numerous branches which run off to the west. Dawrîn is said to end beneath the crag of al-‘ErÒi by the Abu Rak˚k˚ ruins in the plain ºâwi al-Barû˚. » p. 176 : « The Dawrîn canal flows about one and a half kilometers to the northeast, but a side branch of it brought water as far as al-Merwânijje. » p. 178 : « we had to the south-southwest the fields of †îbân, to the north-northwest the KrâÌ ruins, and about three kilometers to the north, the Dawrîn canal. » p. 198 : « From the river al-øâbûr water was also led off through a canal to irrigate the fertile flood plain, here ninety kilometers long and in some places nearly six kilometers wide, on the left bank of the Euphrates. This canal, called øabur-ibalbuga·, was constructed in the beginning of the second millenium before Christ by the Babylonian king Hammurabi. Tukulti Enurta (Tukulti Ninip) II also mentions the Pal-gu ·a (Nâr) øâbûr. » p. 222 : « Both banks of the lower øâbûr as well as the right bank of the Dawrîn canal are covered with ruins and are very fertile to this day. » p. 339 : « The Dawrîn canal issues from al-øâbûr below the settlement of as-Sicer, the ancient as-Sukejr. » — DU MESNIL DU BUISSON 1948, p. 3 : « On notera surtout les vestiges du canal d’irrigation de haute antiquité, dit Daoûrîn (fig. 4). Venant du Habour, il suivait le bord de la vallée de l’Euphrate au pied de la falaise, pour rejoindre le fleuve au-dessous de l’éperon rocheux d’‘ErÒi. La carte d’avion (pl. V), dans l’angle supérieur droit, montre l’embouchure de ce canal. La grande boucle que formait l’Euphrate à cet endroit est asséchée depuis des siècles, de sorte que l ’ ancien canal aboutit aujourd ’ hui à une plaine alluvionneuse, cultivée, et semble s’y jeter. » — LAUFFRAY 1983, p. 63 : « cet immense canal (le canal Dawwarîn) créé par Hamourapi est sans doute le plus fameux de toute la Mésopotamie. Sa prise d’eau se trouvait probablement à proximité du tell Secher, dont l’étymologie viendrait de Σαχαvρη la digue. » 212 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Irrigation ou navigation : quelle était la fonction principale du Nahr Dawr¬n ? L’hypothèse d’un canal creusé, dès l’origine, sur plus de 110 km à seule fin de répondre aux besoins de l’irrigation ne nous semble guère plausible. La lourdeur des travaux de mise en œuvre et d’entretien, la largeur que l’on entrevoit à peu près constante 70, la position sur les glacis vont elles aussi à l’encontre de cette hypothèse, d’autant que l’on connaît dans la vallée d’autres canaux d’irrigation, dont les caractéristiques sont très différentes. En revanche, le projet de doubler le fleuve par une voie d’eau plus facilement navigable et plus courte semble admissible. Quelques chiffres permettent de poser simplement le problème. Telle que nous l’avons restituée, la longueur totale du canal serait de près de 116 km. Le même trajet, effectué par voie fluviale, représente, essentiellement du fait des méandres, une distance de 154 km (dont 28 km sur le Khb‚r et 126 km sur l’Euphrate). Le canal permet donc un gain équivalent au quart de la distance à parcourir, ce qui est loin d’être négligeable. Surtout, l’Euphrate, en raison des variations importantes de son débit, n’est pas navigable en toutes saisons, alors que le Khb‚r doit à son alimentation principalement karstique un débit relativement régularisé. Enfin, les méandres du fleuve imposent, à la remonte, un halage pénible tandis qu’un simple chemin longeant le chenal artificiel facilite la tâche. Cette hypothèse, aussi osée qu’elle puisse paraître, a donc notre préférence. Que le Nahr Dawr¬n ait pu, ultérieurement et notamment à l’époque islamique 7 , servir, sur sa seule section amont, à l’irrigation est bien sûr tout à fait plausible. Mais c’est vraisemblablement un canal de navigation qui a été construit à l’origine. Dès lors, il devient essentiel de savoir quand a été réalisé ce gigantesque ouvrage. Les travaux colossaux qui ont été mis en œuvre pour le construire — rappelons qu’il mesure près de 116 km de long et qu’en plusieurs endroits, il a été creusé dans le plateau — ne se justifient que si ce canal avait un caractère fondamental, voire vital pour ses concepteurs. À qui un canal de navigation a-til été à ce point indispensable ? En l’absence de témoignage écrit sur l’époque de sa construction, nous pouvons émettre des hypothèses qui prennent en compte les différents éléments à notre disposition : — le canal n’est pas branché sur l’Euphrate, mais sur le Khb‚r ; il n’a donc pas pour fonction de faciliter la navigation dans la seule vallée de l’Euphrate ni de mettre en relation deux régions situées sur ce fleuve ; il sert au contraire à relier, à longueur d’année, la région aval de l’Euphrate à cette rivière et, par delà, aux riches régions du haut Khb‚r ; — le tracé depuis le Khb‚r jusqu’à Abu Keml implique que la puissance politique qui aménage cet ouvrage a une totale maîtrise de l’ensemble de la région 72 ; , quatre époques, d’après ce que nous pouvons savoir de leur histoire, pourraient être concernées et avoir connu des états suffisamment forts pour exercer leur domination sur l’ensemble de cette zone : l’âge du Bronze, hors le Bronze récent qui apparaît comme une période de régression ; l’époque néo-assyrienne ; l’époque classique ; l’époque islamique ; — la jonction du canal et de l’Euphrate ne se situe pas n’importe où : le débouché, point important à contrôler, se trouve à hauteur du verrou de Bqh‚z ; — un seul site d’envergure se trouve suffisamment proche de ce débouché pour avoir exercé ce contrôle et avoir pu y trouver un intérêt direct. Il s’agit de Tell Hariri/Mari, à une douzaine de kilomètres en amont ; en revanche, la ville de Doura-Europos, à près de 40 km, en est déjà fort éloignée. Quand on met en relation ces différents points, seul l’âge du Bronze avec la cité de Mari paraît envisageable. À aucun autre moment de son histoire, la vallée n’a connu une agglomération aussi puissante, capable de dominer toute la région, et établie à proximité du débouché du canal. Nous ajouterons un indice archéologique qui, en attestant un fonctionnement probable du Nahr Dawr¬n au Bronze moyen 73, situe son creusement au plus tard à cette époque 74. Nous le détaillerons plus loin, lorsque nous passerons en revue les périodes de fonctionnement. Il convient alors de comprendre les raisons qui ont poussé les gens de Mari à construire ce canal. Quelle peut avoir été la justification d’un tel ouvrage ? La navigation sur l ’Euphrate permet un trafic de marchandises pondéreuses entre la Mésopotamie centrale et méridionale en aval et la Syrie occidentale et le Khb‚r en amont. Il est évident qu’un point de contrôle installé sur cet axe commercial en tirera un bénéfice, qui sera d’autant plus grand que le trafic sera lui - même important et permanent. À cette fin, l’aménagement d’un canal de navigation branché sur une rivière pérenne à débit à peu près régulier n’a pu que faciliter le trafic et en permettre l’augmentation. Pour J.-Cl. Margueron 75, le commerce qui est , avec l ’ agriculture , un des deux fondements du 70 - La constance des dimensions des canaux du Khb‚r donne à penser à P. Ergenzinger qu’ils étaient aussi destinés à la navigation (ERGENZINGER 1987, p. 35). 71 - Cf. ci-dessous p . $$$. Cf. aussi BERTHIER et D’HONT 1994. 72 - MONCHAMBERT 1990 a, p. 95 ; MARGUERON 1990 b, p. 174-176, 181182. 73 - Un seul indice direct permettrait d’envisager son fonctionnement au Bronze ancien, l’existence sur la rive du Nahr Dawr¬n du site de D¬bn 4 (88 44), sur lequel une occupation est possible à cette époque. 74 - Nous ne pouvons donc souscrire à l’avis de J.-M. Durand (1998, p. 575) qui attribue cet aménagement à des périodes plus tardives, néo-assyrienne ou islamique. Il reconnaît cependant, pour l’époque paléobabylonienne, qu’« il est néanmoins certain qu’il y avait un canal qui partait du Habur et qui allait au minimum jusqu’à —uprum (Abu Hassan) » ( ., p. 631). 75 - MARGUERON 1990 b, en particulier p. 177 . ; 1991 b, p. 87 . ; 1996, p. 15. Fonction du canal et datation 1 a priori ibid sq sq Avant-Propos Les aménagements hydrauliques 213 213 développement de Mari, est la raison d’être du canal, dont il fait remonter la construction au début du Bronze ancien, dès l’origine de la ville : « le canal de transport apparaît comme l’élément déterminant pour sa fondation » ; il en « donne la clef » . La création de cette ville en terrain inhospitalier ne peut se comprendre par la seule mise en valeur agricole de son terroir. Mari n’existe que parce qu’elle contrôle un axe commercial important qui relie la Syrie du Nord et de l’Ouest au pays sumérien par l’Euphrate et qui lui procure d’importants revenus grâce aux taxes qu’elle impose. Il est vrai que le fleuve, s’il autorise une navigation minimale et , par conséquent , l ’ exercice d ’ un certain commerce, ne permet pas à ce dernier de prendre réellement de l ’ ampleur , notamment en raison des importantes difficultés de remonte. En revanche, la construction d’un canal ne peut que favoriser la navigation : elle la rend possible en toute saison, contrairement à l’Euphrate, elle raccourcit le trajet, enfin et surtout, elle facilite un trafic à double sens. Cependant, cet ouvrage est un investissement tel que le seul commerce de transit, même s’il est très lucratif, ne suffit peut-être pas à le justifier. Que celui-ci ait été nécessaire à Mari est indéniable et c’est à lui que la ville dut sa puissance. Mais il nous semble que la création de ce canal peut avoir une autre justification, plus fondamentale encore. Mari, nous l’avons vu, est installée dans une grande alvéole , au potentiel agricole sans doute important , notamment après l ’ aménagement d ’ un grand canal d’irrigation. Ce terroir devait probablement suffire, en temps normal, à couvrir les besoins en céréales de la population, même s’il nous est difficile de les évaluer 76. Mais dans cette région de cultures irriguées, les récoltes ont toujours été aléatoires et pouvaient varier considérablement d’une année à l’autre, pour de multiples raisons : année sèche, crue insuffisante pour alimenter correctement le canal d’irrigation ou invasion de sauterelles 77 qui détruit toute la production. Mari devait parer de telles catastrophes et se mettre à l’abri d’éventuelles pénuries. Ce n’est alors pas un simple complément de blé que ses rois pouvaient en attendre. Il leur était indispensable de pourvoir rapidement à un approvisionnement massif en céréales, pouvant aller jusqu’à l’équivalent d’une récolte complète. La survie de la ville était en jeu. Dès lors, ce sont des quantités considérables qui devaient être importées. Le grenier à blé le plus proche et le plus riche est la plaine du haut Khb‚r. Dans cette région relativement humide et cultivable sans irrigation, les récoltes étaient moins aléatoires. C’est donc depuis cette zone que l’on pouvait acheminer d’énormes quantités de céréales jusqu’à Mari 78. Un transport terrestre, envisageable ponctuellement pour des quantités limitées, ne l’était plus dans ce cas. On conçoit dès lors que ses souverains aient procédé au creusement de ce canal reliant directement Mari au Khb‚r. Que cette ville soit située à proximité de son terminus n’est dès lors pas dû au hasard. Il est possible d’ajouter une autre explication. Les fouilles récentes ont mis en évidence l’importance de la métallurgie dans la première ville de Mari 79. Fondée sur la transformation du cuivre et de l’étain, cette activité qui pourrait avoir été un des facteurs clés de la naissance de la ville et de sa croissance nécessitait un approvisionnement abondant et régulier en matières premières ; dès lors, la construction du canal aurait permis l’importation, à longueur d’année, de minerai de cuivre depuis le Taurus, d’étain en provenance d’Iran depuis la région de la Diyala. Là encore, la position de Mari à proximité du débouché du canal est significative. Indispensable à la survie de Mari, et — secondairement — nécessaire à sa puissance, le canal de navigation lui est étroitement associé. Doit-on dès lors faire concorder son creusement et la fondation de la ville ? Est-ce dès les premiers temps de la cité, voire dès sa conception, qu’il a été aménagé, ou plus tard, dans le courant du Bronze ancien ou au Bronze moyen ? Une datation à l’époque paléobabylonienne nous paraît exclue. Sa construction ne serait pas passée inaperçue et apparaîtrait sous une forme ou sous une autre dans la documentation écrite qui a été retrouvée . En effet , l’aménagement d’un ouvrage aussi colossal, par la main d’œuvre nécessaire et par la durée des travaux, ne peut que marquer les esprits et son souvenir se serait perpétué, ne serait-ce que par un nom d’année ou par une quelconque autre allusion. Par ailleurs, nous avons déjà précisé à propos du canal d’irrigation de l’alvéole de Tell Hariri que, d’après les textes, le début du IIe millénaire n’est pas une période de construction de canaux, mais seulement de remise en état et d’entretien de ceux qui existaient. La situation politique de la vallée aux XXe et XIXe s. ne nous permet pas d’envisager la construction d’un tel aménagement qui suppose un pouvoir politique particulièrement puissant et bien établi sur la totalité du territoire traversé par le canal : en effet, la vallée semble avoir été alors sous le contrôle des tribus nomades et morcelée en plusieurs petits états. Lorsqu’un état fort est restauré par Yahdun-Lîm, et ensuite sous ses successeurs, aucun témoignage ne mentionne ces travaux. Yahdun-Lîm est le seul dont nous savons qu’il procéda à de grands travaux, dont le (re)creusement d’un canal, mais il s’agit du I·îm- 76 - Les renseignements que donnent les archives d ’ époque paléobabylonienne ne semblent pas très explicites : « il est certain que la production agricole du royaume n’était pas auto-suffisante » (DURAND 1990 b, p. 86). Mais cette interprétation a été remise en question depuis lors (DURAND 1997, p. 355). 77 - De tels phénomènes, attestés par les archives paléobabyloniennes, n’étaient sans doute pas rares. 78 - MARGUERON 1991 b, p. 97. 79 - MARGUERON 1996, p. 15. ex nihilo 214 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT Yahdun.Lîm, en rive droite. C’est donc au IIIe millénaire qu’il convient de faire remonter le creusement de cet ouvrage. Nous avions déjà proposé 80 d’associer cet aménagement au développement de Mari dans le courant du Bronze ancien et à l’augmentation de ses besoins en céréales. Le transit commercial, qui assurait la prospérité de Mari, aurait ensuite bénéficié de l’existence de ce canal. En fait, et bien que nous ne connaissions pas la situation politique au début du Bronze ancien, trois arguments majeurs nous incitent à dater le creusement du Nahr Dawr¬n des tout premiers moments de la ville. D’une part, comme nous l’avons rappelé à la suite de J.-Cl. Margueron, Mari n’a guère de raison d’être si n’existe pas, sous son contrôle, une voie commerciale empruntant la vallée de l’Euphrate. D’autre part, si, selon l’hypothèse de J.-Cl. Margueron que nous avons également évoquée ci-dessus, « la cité de Mari des débuts [était] un centre métallurgique d’envergure 8 », le canal facilitait son approvisionnement en matières premières. Enfin, nous avons souligné précédemment le caractère vital de ce canal pour son approvisionnement en céréales en cas de crise. Or, on connaît désormais l’existence, dès le Dynastique archaïque 1, de nombreux silos 82 dans la moyenne vallée du Khb‚r , où aurait été stockée la production céréalière (les surplus ?) destinée à approvisionner des régions déficitaires. C’est vraisemblablement dans ces entrepôts que Mari venait chercher le blé qui lui était indispensable et il n’est pas impossible de penser, avec M. Fortin 83, qu’elle les contrôlait. Aussi peut - on imaginer que c ’ est en se fondant sur l’expérience que la construction du canal a été engagée, dans ce triple objectif commercial , « métallurgique » et « alimentaire ». Il est par ailleurs indéniable que le canal a pu servir également , à certains moments , à transporter des compléments alimentaires à destination de Mari ou de régions plus méridionales ; de telles expéditions de grain sont attestées à l’époque d’Akkad et elles le sont encore au IIe millénaire, où l’on constate la « nécessité d’aller acheter du grain loin, surtout vers l’ouest (royaume d’Alep) ou dans le nord-est (Djéziré) » en raison de « l’instabilité et du mauvais rendement » de la production agricole 84. Cette datation haute est contestée par J.-M. Durand qui nie l’existence d’une voie commerciale pérenne reliant la Babylonie et la Syrie. Les arguments avancés 85 ne nous semblent cependant pas convaincants, car ils s’appuient sur des textes du début du IIe millénaire, donc bien postérieurs à la fondation de Mari, à une époque où la situation pouvait être fort différente. Que l’axe de l’Euphrate n’ait pas connu une forte activité au XVIIIe s. av. J.-C. 86 est communément admis, mais cela n’implique pas qu’il en ait été de même au IIIe millénaire. Le siècle et demi d’anarchie politique qui semble avoir marqué le début du IIe millénaire peut avoir provoqué un démantèlement du réseau antérieur des échanges, que la période de renouveau, trop courte, n’eut pas le temps de restaurer . L’approvisionnement de la Mésopotamie méridionale en céréales du Khb‚r peut fort bien avoir continué à emprunter d’autres voies mises en place lors de l’effondrement de la puissance mariote. En outre, les besoins de Mari peuvent avoir été moindres qu ’ au Dynastique archaïque ou qu’à l’époque d’Akkad, expliquant ainsi partiellement le silence des textes . Les sources d’approvisionnement, enfin, peuvent avoir changé et s’être déplacées de la haute Jézireh aux royaumes occidentaux comme ceux d’Alep ou de Karkémish, lesquels semblent avoir disposé d’un important potentiel d’exportation de céréales à l’époque de Zimrî-Lîm 87. On notera à ce propos qu’il n’est fait appel à ces régions que dans des conditions de grave pénurie ; il est peut-être normal que la région du Khb‚r ne soit pas mentionnée dans les archives si elle constitue une source d’approvisionnement de base au même titre que la région même de Mari. Si Mari fut la principale bénéficiaire du canal de navigation, Terqa en tira probablement aussi profit et il est peu vraisemblable qu’elle ait été « court-circuitée […] pour des raisons de déplacement ou de transport » par Mari ; au contraire, située à proximité de ce canal, qui plus est à l’endroit où ce dernier se rapproche le plus de l’Euphrate, elle ne pouvait manquer de profiter, d’une façon ou d’une autre, du trafic qui l’empruntait. Il est vrai que les textes retrouvés à Mari ne sont pas d’un grand secours pour démontrer l ’existence d’une éventuelle navigation sur les canaux. La documentation écrite, bien que rare, n’est cependant pas totalement absente. Une lettre de Sûmû-Hadû 88, déjà mentionnée ci-dessus, relate un incident survenu sur le canal d’irrigation de l’alvéole de Mari au moment où il était utilisé pour le transport des céréales. Bien que cet événement se produise sur un canal dont la fonction première était l’irrigation, ce texte nous 80 - GEYER et MONCHAMBERT 1987 b, p. 331-332. 81 - MARGUERON 1996, p. 15. 82 - Par exemple, à Tell ‘Atij, à Tell Raqa’i, à Tell Mashnaqa ou encore à Tell Ziyada. 83 - FORTIN 1997, p. 68-70. Nous ne croyons guère que ces silos aient pu servir à stocker les récoltes de nomades, comme le soutient B. Lyonnet (2000, p. 18). Le nombre de ces silos et leur capacité semblent impliquer des productions importantes, qui sont plus le fait d’agriculteurs sédentaires que de nomades. En outre, leur concentration en un seul secteur du moyen Khb‚r et leur position le long de la rivière plaident en faveur d’une zone de stockage centralisée avant redistribution. La localisation de cette zone au sud du bassin du haut Khb‚r semblerait indiquer que cette redistribution était destinée aux territoires du sud plutôt qu’à ceux du nord. 84 - DURAND 1990 a, p. 108. 85 - DURAND 1998, p. 574-575 et p. 580. 86 - Le trafic devait cependant avoir une certaine densité, comme l’attestent un certain nombre de textes. Sinon, comment expliquer l’importance du port fluvial d’Imar ou la volonté, rappelée par F. Joannès (1996, p. 326), que manifestent à plusieurs reprises les royaumes de Babylone et d’Eshnunna de contrôler l’Euphrate ? 87 - MICHEL 1996, p. 393-394. 88 - DURAND 1990 a, p. 136-137, LAFONT 1992. 1 Avant-Propos 215 Les aménagements hydrauliques démontre que la navigation sur des canaux était pratiquée à l’époque. Le fait que cette attestation soit unique montre bien que la seule absence de documentation écrite relative à une possible navigation sur le Nahr Dawr¬n n ’est pas suffisante pour réfuter l’hypothèse. 215 Vraisemblablement construit au début du Bronze ancien, le Nahr Dawr¬n a connu, au cours de l’histoire, des périodes d’abandon, suivies de remises en état, au moins partielles. Conçu pour la navigation , il a pu servir aussi , secondairement, à des fins d’irrigation. Son fonctionnement peut être retracé dans ses grandes lignes. Bien que peu nombreux, les éléments de datation directs sont plus variés que pour les autres canaux de la vallée ; ils consistent en trois séries de données : le matériel récolté sur les digues, les sites implantés le long du canal, les analyses au 4C. Le ramassage effectué sur les digues ne nous a pas permis d’obtenir une datation indubitable. Le matériel qui y a été retrouvé est trop peu abondant et insuffisamment typique pour être toujours identifié et daté avec certitude. Quelques rares tessons ont été récoltés sur les sections de Darnaj, sur les digues ou sur la surface des terrasses quaternaires, de part et d’autre du canal. Ils ne donnent aucune indication pour le tracé A ; quant au tracé B, les incertitudes sont à peine moindres, avec une large fourchette chronologique, qui couvre plus d’un millénaire depuis le Bronze moyen jusqu’à l’époque néo-assyrienne 89. La seule certitude est que ce matériel est nettement antérieur à l ’ époque islamique . Il nous autorise à envisager un fonctionnement de ce deuxième tracé au moins dès le I er millénaire av . J .- C . Nous nous écartons donc des conclusions d’A. Ozer, selon lequel « l’abandon du premier chenal et le creusement du second dateraient de l’époque islamique 90 ». Deux des trois tessons retrouvés sur les digues du tracé B de la section d’Abu Hasan 9 peuvent être datés du Bronze moyen, mais, là aussi, la marge d’incertitude demeure assez grande. Ils ne fournissent en fait guère plus d’informations que pour la section de Darnaj. Si nous pouvons observer une convergence en faveur d’une datation au Bronze moyen du tracé le plus récent, nous ne pouvons aller au-delà. Plusieurs sites sont directement liés au canal, et leur période d’existence devrait correspondre à une de ses phases de fonctionnement. Si le tronçon amont, avant le défilé de Darnaj, était en eau à l’époque islamique comme l’indique une série d’implantations établies sur ses rives 92, quelques sites occupés antérieurement attestent d’autres périodes de fonctionnement . Nous n ’ avons cependant pu établir précisément la datation de chacun d’entre eux. Un de ces sites a été occupé à l’époque romano-parthe, Shheil 1 (9 3) ; Darnaj (8 6) l’a aussi été à cette époque, mais du fait de son implantation très particulière — il domine à la fois la branche A du canal et l’Euphrate —, il n’est pas certain qu’il ait été lié directement au canal, même si sa position est stratégiquement très intéressante. Cinq sites attestent une occupation à l’époque néo-assyrienne : Er Rshdi 3 (1 95), D¬bn 3 (6 6), D¬bn 11 (1 62), El Jurdi Sharqi 1 (6 9), El Jurdi Sharqi 2 (7 2) ; on peut éventuellement y ajouter D¬bn 15 (1 86), même s’il est un peu loin du canal pour lui devoir son existence, et D¬bn 17 (1 88), dont la datation est incertaine. D¬bn 4 (8 4) semble avoir été occupé antérieurement, au Bronze ancien et au Bronze moyen. Ces éléments nous permettent de proposer un fonctionnement du canal, du moins entre sa prise d’eau et l’alvéole d’Abu Hammm, en aval de Darnaj, de façon à peu près certaine au Bronze ancien, au Bronze moyen et à l ’ époque néo - assyrienne , et éventuellement à l’époque classique. Plus en aval, près du débouché dans l’Euphrate, le site d’Es S‚sa 4 (1 57) occupé avec certitude au Bronze moyen se trouve à côté du canal, mais il n’est pas sûr que son éloignement de l’Euphrate ait été suffisant pour rendre indispensable l’apport du Nahr Dawr¬n 93 ; on ne peut donc l’utiliser comme élément de datation du canal. Le troisième élément de datation est fourni par des échantillons de charbons de bois prélevés dans le chenal près de Darnaj et analysés en laboratoire. Les dates obtenues se situent à l’époque islamique 94. L’ensemble de ces données factuelles nous permet d’envisager un fonctionnement du Nahr Dawr¬n au Bronze ancien, au Bronze moyen, à l’époque néo-assyrienne et à l ’ époque islamique . Qu ’ en est - il des périodes intermédiaires ? Et peut-on préciser sa fonction au cours de l’histoire ? Aucun site du Bronze récent n’a été repéré le long du canal. En revanche, l’alvéole d’Abu Hammm en compte plusieurs, fixés sur le tracé d’un autre canal, celui d’El Jurdi Sharqi. Cette concentration de l’habitat en aval de l’éperon de Darnaj et la présence de deux autres sites dans l’alvéole 89 - Cf. annexe 2 et pl. 119 : tracé A (1 725-11 726 726), tracé B (1 7 1 3-11 7 1 55). 90 - OZER 1997, p. 123. Voir également ci-dessus, p . 27$. 91 - Cf. annexe 2 et pl. 119 (1 722-11 724 724). 92 - Pour le détail, voir BERTHIER . 2001. 93 - Cf. chap. IV. 94 - Nous avons pu effectuer deux prélèvements d’échantillons de charbons de bois sur le tracé du Nahr Dawr¬n dans le secteur de Darnaj, tous deux sur la section de Darnaj est (tracé B). Le premier a été effectué dans les sédiments qui ont comblé le chenal d’écoulement dans son dernier état, juste en amont de son passage en tranchée dans la formation QII ; il est contemporain de la dernière période de fonctionnement du canal ou de son abandon. La date 4C obtenue est de 1095 ± 75 BP (no de comptage Ly5151 ; LA-CNRS no 11, université Lyon 1-CNRS) ; l’intervalle en années réelles après correction (courbe de calibration 1993) va de 756 apr. J.-C. à 1104 apr. J.-C. Le second échantillon a été prélevé dans un petit foyer, présent dans le chenal, à 1,5 m de profondeur, immédiatement en aval de la tranchée du tracé B, et devrait être postérieur à l’abandon du canal. La date 4 C obtenue est de 1020 ± 50 BP (no de comptage Ly-7488 ; LA-CNRS no 11, université Lyon 1-CNRS) ; l’intervalle en années réelles après correction (courbe de calibration 1993) va de 906 apr. J.-C. à 1154 apr. J.-C. 1 1 et al 1 1 216 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT amont peuvent-elles nous permettre d’envisager que le Nahr Dawr¬n était en eau jusqu’à Darnaj ? Bien qu’un peu risquée, d’autant que nous ne connaissons pas grand -chose du contexte historique et socio-économique de cette époque, cette hypothèse pourrait être corroborée par le canal de Jebel Mashtala (6 8) qui, nous l’avons vu, pourrait constituer une dérivation du Nahr Dawr¬n. Après une probable période d ’ abandon , le Nahr Dawr¬n aurait été remis en fonctionnement à l’époque kassite jusqu’à Jebel Mashtala, vraisemblablement à des fins d’irrigation. Peut-être pourraiton voir dans ce réaménagement l’œuvre d’un roi de Terqa du nom de Hammurabi, dont on sait qu’il a « creusé le canal øabur-ibal-buga· depuis la ville de Dûr-I·arlim jusqu’à la ville de Dûr-Igitlim » 95. Le fonctionnement du canal à l’époque néo-assyrienne semble mieux assuré. Il se situe dans le prolongement de plusieurs canaux qui doublent le Khb‚r, sur tout son cours, depuis Hassekeh 96. Une inscription du souverain Tukult¬ninurta II mentionne un « canal du Khb‚r » 97 quelque part entre Sirqu (El ‘Ashra, 5 4) et le Khb‚r. Malgré l’absence de renseignements plus précis et compte tenu de la localisation approximative des toponymes cités 98, on peut penser qu’il s’agit du Nahr Dawr¬n. Nous aurions là une confirmation de son fonctionnement à l ’époque néo assyrienne. Le tronçon en service allait, dans ce cas, au minimum jusqu’à l’éperon de Darnaj. On peut penser, compte tenu de la présence des deux sites d’époque néoassyrienne d’El Jurdi Sharqi 1 (6 9) et 2 (7 2) dans l’alvéole d’Abu Hammm, que le canal la parcourait. Allait-il jusqu’à —upru (= Tell Abu Hasan, 9 ) ? L’inscription de Tukult¬ninurta II ne donne aucun autre renseignement. Elle ne nous précise pas non plus la fonction de ce canal. L’hypothèse qu’il ait servi à la navigation ne nous semble pas devoir être exclue. La vallée du Khb‚r était alors soumise à la domination d’un pouvoir politique fort et bien structuré qui dynamisait la région et la rendait prospère en développant, de part et d’autre de la rivière, un grand réseau de canaux. Il n’est pas impossible que ce réseau, interprété comme un système régional d’irrigation 99, ait servi aussi à la navigation. L’existence, à l’aval, de centres locaux tels Sirqu (5 4), —upru (9 ) et, plus loin, Haradu et ‘Ana, peut avoir incité le pouvoir néo-assyrien à le prolonger vers l’aval, pour doubler un Euphrate moins facilement navigable. La puissance en place était, semble-t-il, en mesure d’assurer le fonctionnement d’un ouvrage aussi long, en s’appuyant, le cas échéant, sur des centres locaux comme celui situé à Jebel Masikh (1 6) ou, si le canal allait jusque-là, —upru (Tell Abu Hasan, 9 ), les deux plus grands sites néo-assyriens de la rive gauche. Il semble bien qu’à l’époque perse achéménide, le canal n’ait pas été en fonctionnement. Aucun site ne se trouve sur son parcours . La région paraît alors en importante régression ; le peuplement de la vallée semble réduit et l’on ne voit guère quelle autorité aurait pu gérer le fonctionnement du canal, même limité à l’irrigation. Confirmation en est donnée par Xénophon 00 : séjournant en – 401 à Korsoté (Buseire 1, 7 5), à la confluence du Khb‚r, il signale que la ville est « abandonnée », puis, alors qu’il parcourt la rive gauche de l’Euphrate, il ne fait état que d’un paysage de désolation : « il n’y avait ni herbe, ni arbre d’aucune sorte ; tout le pays était nu ». Pour l’époque séleucide et romano-parthe, nous avons quelques données en faveur d’un fonctionnement du Nahr Dawr¬n. Trois sites (Shheil 5 [1 68] et 1 [9 3] et D¬bn 21 [2 0 0]), fort distants de l’Euphrate, mais peu éloignés du canal , pourraient en avoir dépendu pour leur approvisionnement en eau. Par ailleurs, un parchemin de Doura-Europos 0 mentionne sur le Khb‚r un village, ou un lieu-dit, du nom de Sachare-da-hawarae, que l’on peut traduire par le « barrage blanc » ou la « digue blanche » et qui pourrait désigner la prise d ’ eau . Bien que les rapprochements phonétiques soient dangereux, on ne peut complètement passer sous silence la double ressemblance, d’une part du premier terme avec le toponyme de Seªer (Es Sijr), d’autre part des deux éléments « da-hawarae » avec Dawr¬n, d’autant que ce nom est la transcription, peut-être mal maîtrisée, d’un toponyme local en grec ; on remarquera simplement qu’au début du XXe s., certains voyageurs ou archéologues parlent du Dawwarîn. Il n’est pas impossible aussi que le Nahr Dawr¬n soit mentionné, au IIe s. apr. J.-C., par le géographe grec Ptolémée 02 ; il semble bien en effet que l’on puisse le reconnaître dans le cours inférieur du Saokoras 03. Le canal pourrait n’avoir servi alors qu’à l’irrigation. En effet, la ville de Doura-Europos avait besoin de s’appuyer sur un terroir lui permettant de s’approvisionner en céréales ; elle devait donc gérer un réseau d’irrigation dont pouvait faire partie ce canal. Celui-ci arrosait l’alvéole de D¬bn, et très probablement celle d’Abu Hammm, car l’approvisionnement en eau d’El Jurdi Sharqi 1 (6 9), en amont du canal d’El Jurdi Sharqi, pose problème si le Nahr Dawr¬n ne se prolongeait pas dans ce secteur de l’alvéole. 95 - THUREAU-DANGIN et DHORME 1924, p. 267. 96 - ERGENZINGER 1987 ; KÜHNE 1990 a et b ; ERGENZINGER et KÜHNE 1991. 97 - Cf. annexe 3, texte 20. 98 - Voir chap. IV, p . $$$. 99 - KÜHNE 1990 b, p. 25-27 ; ERGENZINGER et KÜHNE 1991. 100 - Cf. annexe 3, texte 61. 101 - . 26 (W ELLES . 1959, p. 138). 102 - Dans la mesure où la de Ptolémée est en grande partie une compilation de documents plus anciens, il est possible que la situation transcrite ici soit antérieure à celle du IIe s. apr. J.-C. D’une façon générale, les indications de Ptolémée correspondent parfois à un état plus vieux de plusieurs siècles (POLASCHEK 1965, col. 759). 103 - Cf. annexe 3, texte 53. Sur cette identification, voir GAWLIKOWSKI 1992 et ci-dessus chapitre IV, p . 60$. P Dura et al 1 1 1 1 1 Géographie Avant-Propos 217 Les aménagements hydrauliques ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ v ▲ v ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ v ▲ ▲ ▲ ▲ v ▲ ▲ ▲ ❚ v ❚ ▲ ▲ v v ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ v ❚ ▲ ❚ ▲ 1 ▲ v ❚ v ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ v ▲ ▲ ❚ v ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ Halabiya v ▲ ❚ ❚ ▲ v ▲ ❚ v v v v ▲ ❚ ▲ 1 ❚ ❚ v ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ v ▲ ▲ v ❚ v ❚ v v ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ v ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ v ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ v ❚ ▲ ❚ v v ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ v ❚ v v ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ v ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ v ❚ ▲ ▲ ▲ v ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ v ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ N ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ v ❚ v ▲ v ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ v ❚ ▲ ❚ v ▲ v ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ v v ▲ ❚ ▲ v ❚ v ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ v v ▲ v ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ ▲ Zalabiya ❚ ▲ ▲ ▲ ▲ v ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ 0 1 km ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ▲ ▲ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ▲ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ limite des plateaux ▲ ▲ tracé du Nahr Sémiramis cours de l’Euphrate en 1960 v talus v v môle-butoir tracé restitué du Nahr Sémiramis v v ❚ ❚ La prise ❚ Un second canal, comparable au Nahr Dawr¬n dans sa conception (longueur , localisation, tracé), court, toujours en rive gauche, à la hauteur de Deir ez Z¨r et jusqu’à proximité de Buseire. Désigné sous les noms d’alMedschri par R. Kiepert et d’al-Masrân par A. Musil, identifié au canal de Sémiramis d’Isidore de Charax, il débute en fait loin en amont de notre secteur d’étude, dans le défilé d’Al-Khanouqa. Nous ne l’avons pas étudié sur la totalité de son trajet, concentrant nos efforts sur le secteur de prise et sur la section qui traversait notre région. ❚ ❚ ❚ ▲ ❚ ▲ ▲ ❚ ▲ Le Nahr Sémiramis ▲ ▲ ❚ ❚ ❚ ▲ 1 ▲ ▲ 1 ❚ ▲ En aval, les traces sont plus estompées et plaident pour un abandon ancien 04. Il est peu probable en revanche qu’il ait servi de canal de navigation assurant un trafic commercial. Aucun témoignage ne vient à l’appui de ce type de fonctionnement : au Ier s. de notre ère, Isidore de Charax qui mentionne en amont la prise d’eau du Nahr Sémiramis 05 ne signale aucun canal pour cette partie de la vallée 06. Rien enfin ne permet d’entrevoir un commerce fluvial important reliant alors la haute Jézireh à la vallée de l’Euphrate. Le canal ne paraît pas avoir fonctionné à l’époque romaine tardive ; en 363, lorsque la flotte de Julien passe par la région, c’est l’Euphrate qui lui permet de descendre la vallée, ainsi que le relate Ammien Marcellin 07 : « quant à la flotte, en dépit des méandres continuels, qui faisaient serpenter le fleuve sur lequel elle voguait, on ne la laissait prendre ni retard ni avance ». Le cours du canal est coupé par la frontière entre les empires perse et romain : la prise d’eau et une petite partie de son cours sont en territoire romain, la plus grande partie de l’ouvrage en territoire perse. L’absence d’habitat contemporain le long de ses rives tendrait à confirmer son abandon. 217 v cours ancien probable structures en blocs de basalte Fig. 31 - Restitution schématique de la prise du Nahr Sémiramis dans le défilé d’Al-Khanouqa. C’est peu en aval de Zalab¬ya, au sud-sud-ouest du site, que l’on découvre un premier segment du canal, plus ou moins bien conservé sur une longueur de quelques kilomètres (f i g . 3 1). Il est implanté sur la terrasse holocène . La différence de niveau avec le fleuve y est de plus de 5 m. Même si l’on admet que le chenal était ici creusé dans la terrasse, il est certain que la prise était située plus en amont et que le canal parcourait donc la partie aval du défilé de la Khanouqa, où le resserrement de la vallée, entre deux nappes basaltiques, offrait des conditions quasi idéales de stabilité du cours pour implanter un aménagement de prise d’eau 08. À cet endroit stratégique, peu en aval du site de Halab¬ya, subsistent des aménagements situés dans le lit du fleuve (fig . 32) ; ce sont en fait les seuls qui nous soient connus. Ils pourraient correspondre, avec une probabilité raisonnable, 104 - L’extrémité du tronçon utilisé à l’époque est difficile à préciser. Les coordonnées fournies par Ptolémée pour le débouché du Saokoras, difficiles à placer sur une carte, le situent en tout cas nettement en aval de la confluence Khb‚r/Euphrate. 105 - Cf. annexe 3, texte 41. 106 - Ce point est à nuancer, car la prise du Nahr Dawr¬n est assez loin sur le Khb‚r et Isidore de Charax ne décrit que l’itinéraire le long de l’Euphrate. 107 - Cf. annexe 3, texte 25. 108 - Il est peu vraisemblable que la prise soit dans la partie amont du défilé, comme le pensent F. R. Chesney (1850, p. 47) et C. Ritter (1844, p. 687-688). 1 218 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT à des ouvrages de prise (f i g . 3 3). Malheureusement assez mal conservés, en grande partie masqués par les eaux 09, ce qui empêche toute description de détail, ils se présentent sous la forme de deux structures constituées de blocs de basalte bruts, non maçonnés, simplement entassés sans qu ’ aucun appareillage ou parement ne soit discernable. La première de ces structures, située entre Halab¬ya et Zalab¬ya, barre en partie le fleuve (fig . 34). Constituée de blocs de 0,5 à 0,6 m de long en moyenne, large encore de plus de 5 m par endroits, elle s’appuie sur la berge droite du cours d’eau où elle est d ’ ailleurs masquée par les alluvions d’une terrasse récente (Q00), coupe perpendiculairement le lit 1 Fig. 32 - Le défilé de la Khanouqa, vu de l’aval. Au fond, au pied de la mesa basaltique, le site de Halab¬ya ; au centre, une ligne blanche marque l’emplacement des vestiges du barrage qui alimentait le Nahr Sémiramis. Fig. 33 - Proposition de restitution des aménagements hydrauliques du défilé d’Al-Khanouqa. 109 - Ils ne sont visibles que par très basses eaux, au moment des étiages. Est-ce l’un d’eux qui est signalé par F. R. Chesney (1850, p. 417) et qu’il interprète comme les vestiges d’un « embankment » ? Avant-Propos 219 Les aménagements hydrauliques 219 comme étant les vestiges d ’ un enrochement (perré) qui aurait pu servir à protéger le canal de l’érosion en rive concave du fleuve, endroit particulièrement sujet à érosion. Elle est aujourd’hui proche de la berge droite du fleuve, du fait du glissement de ce dernier sur sa rive gauche dans la concavité. Le tracé La partie amont du canal devait donc passer au pied de la falaise de Zalab¬ya , en un endroit particulièrement exposé aux sapements du fleuve, coincé dans un espace forcément très restreint entre l’Euphrate et la falaise (cf. fig . 3 1), Fig. 34 - Vestiges du barrage à la prise d’eau du Nahr Sémiramis, vus de la rive droite. ce qui justifie pleinement l’aménagement de protection que mineur sur les deux tiers de sa largeur avant de s’incurver nous pensons y avoir repéré. Bien visible au SSO du site de vers l’amont, presque à angle droit, pour remonter dans l’axe Zalab¬ya, au pied du versant couronné par une nappe du lit sur au moins 1 00 m . Sur la rive gauche , une basaltique, le canal contourne une partie du plateau, puis le cinquantaine de mètres séparent l’aménagement de la berge. Jebel Ma‘az¬la. Sur ce premier tronçon, la digue est à une Ce recul est dû à un glissement du lit du fleuve vers sa gauche, altitude de 218,7 m et l’axe d’écoulement (chenal en l’état) conséquence normale d’un sapement de rive concave un peu à 217 m. N’ayant pas eu l’occasion de prospecter la région en aval. Il pourrait s’agir là des vestiges d’un barrage-seuil située entre le défilé de la Khanouqa et Deir ez Z¨r, nous ayant eu pour fonctions d’une part de régulariser la dérivation nous sommes reportés à la carte au 1/25 000 pour suivre le située à l’amont immédiat, d’autre part de relever quelque tracé possible du canal. Apparemment, celui-ci traverse peu le niveau de l’eau, notamment lors des étiages, et donc de réduire la différence de niveau entre le fleuve et la terrasse alluviale qui le surplombe et qui accueillait le canal 0. Dans ce cas précis, un barrage du type habituel, c’est-à-dire fermant totalement la vallée, ne se justifiait pas , le but n’étant pas de créer une réserve d’eau, mais de stabiliser le niveau d’eau à l’étiage pour assurer une certaine régularité à l’alimentation du canal par la dérivation d’une partie de l’eau du fleuve. La seconde structure , située environ 1 km en aval de la précédente, au pied de la nappe basaltique de Zalab¬ya , est constituée de blocs pouvant avoir jusqu’à 1,2 m de long, et forme un V très ouvert , d’une centaine de mètres de long (fig . 35 Fig. 35 - La structure en forme de V au pied de la mesa basaltique de Zalab¬ya, vue vers et 3 6). Nous l’avons interprétée l’amont (cliché A. Cuny). 11 111 110 - CALVET et GEYER 1992, p. 19-25. 111 - GEYER 1990 a, p. 76 ; CALVET et GEYER 1992, p. 22. 220 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT après avoir longé le site de Jed¬d ‘Aq¬dat 1 (9 2). Le débouché Nous n’avons pu le repérer avec certitude, car la seule trace qui pourrait y correspondre, et qui débouche dans le Khb‚r, est trop oblitérée par les crues (chenal de décrue) pour pouvoir être interprétée correctement. À titre d ’ information , elle se situerait immédiatement au nord de Rweshed 1 (1 1 8 ; carte h .- t . II, carré G6), mais n’a pas été reportée sur la carte. Témoignages — ISIDORE DE CHARAX 114 : « Basileia, temple d’Artémis, fondation de Darius, Fig. 36 - Détail de l’enrochement de la structure en forme de V, vu vers l’aval. bourg urbain ; là se trouve le canal de Sémiramis ; l’Euphrate est obstrué par des d’abord le promontoire du Jebel el Mar‚za par une tranchée pierres en sorte qu’il se resserre et inonde les champs ; en été qui devait ressembler fort à celle du Nahr Dawr¬n à Taiyni. cependant, les bateaux font naufrage, <7 schoenes>. » — CHESNEY 1850, p. 417 : « a little below the walls (of Il longe ensuite, seul itinéraire possible, le paléoméandre de la Surt el Kasra, avant de traverser un second promontoire, à l’extrémité duquel se trouve le site de Jebel el Kasra 2. On le devine ensuite sur les glacis de l’Ard Hwi Hmmar, là aussi dans une position qui rappelle singulièrement celle, fréquente, du Nahr Dawr¬n. Plus en aval, il gagne peu à peu de l’altitude par rapport au fleuve et aux terrasses holocènes pour se hisser, sans doute peu en amont de Hatla (cf. carte h .- t . I), sur la surface de la terrasse QII. C’est là que nous le retrouvons , encore partiellement excavé dans la formation QII, non loin de Tell es Sinn (2 9). Entre l’amont, repéré au pied du plateau de Zalab¬ya, et la section à hauteur de Tell es Sinn (2 9), la pente du canal est d’environ 0,24 ‰, que nous pouvons rapprocher des 0,26 ‰ du Nahr Dawr¬n 3 : l ’ ensemble apparaît donc altimétriquement cohérent. Vers l’aval, le canal se poursuit, en tranchée aujourd’hui peu profonde, sur le rebord de la formation Q II (fig . 37) avant de se perdre, 2 km Zenobiá), and opposite the ruined castles of Halebi on the left side, are the remains of an embankment, partly arched with bricks 15 or 16 inches square, but chiefly of solid stone. » 112 - À propos de ce site, voir LAUFFRAY 1983, p. 56 et 75. Contrairement aux hypothèses de ce dernier, il est impossible que de l’eau dérivée du Nahr Sémiramis ait pu alimenter les fossés de ce site. 113 - Tous ces calculs ont été effectués sans fouille. 114 - Cf. annexe 3, texte 41. 11 carte IV : trace rectiligne partant juste en aval de « Zelebi », avec le commentaire « Remains of an ancient canal said to extend to the Khábúr or Araxes of Xenophon Trench of Semiramis of Rennell. » 11 Fig. 37 - Le Nahr Sémiramis à Mazl‚m (carte I, carré D3). Avant-Propos Les aménagements hydrauliques — AINSWORTH 1888, p. 332 : « There are also remains of an ancient canal , which taking its departure from below Riba (= Halab¬ya) passes in the rear of these ruins (Sur al Humar), on to Karkisha, and the river Khab‚r. Isidorus of Charax has in the same district […] Basileia, with […] a canal which he referred to the times of Semiramis—that is to say, to fabulous times. » — BELL 1910, p. 528 : « Semiramidis Fossa was no doubt a canal , and Chesney saw traces of an ancient canal below Zelebiyeh. » — HERZFELD 1911, p. 168 : « Auf dem linken Ufer liegen dann die Ruinen von Zal‚biyyah und am Ausgange der Euphratenge, wo zwischen dem steilen Uferfelsen und dem Strom kein Platz mehr bleibt, sind noch einige Reste einer Sperrmauer und eines festen Wachthauses erhalten, die den Weg vollständig abschnitten. » — MARESCH 1920, p. 381 : « Noch weiter südlich, dicht am Südabhange des Plateaus beginnend, zieht sich ein ca. 2 m breiter und stellenweise 1 m bis 1,5 m hoher Steinwall hin, der sich weit in die südlich Zal‚biyyah liegende Flussebene erstreckt und sich dem Euphrat in einem spitzen Winkel nähert. Sumpfiges Gelände und Hochwasser verhinderten mich leider diesen Steindamm genauer zu untersuchen. Vermutlich ist es eine ältere Kanalanlage, die möglicherweise identisch ist mit jener “fossa Semiramidis”, die Ritter in seiner Erdkunde bei der Beschreibung dieser Gegend erwähnt. » — H ÉRAUD 1 922 a , carte XXXIII , feuille Halebiye : l’aménagement est porté sur la carte avec la légende « seuil rocheux, tunnel ». — HÉRAUD 1922 b, p. 112 : « (dans le défilé de Halabiye) une sorte de barrage immergé traverse le fleuve aux deux tiers. » — ALBRIGHT et DOUGHERTY 1926, p. 16 : « The Euphrates and Khabûr Valleys are here very fertile and water was distributed for irrigation by the Semiramis and the Khabûr Canals (Nahr Dawarîn) […]. Other canals there doubtless were, but these two were the most important, constructed before the Assyrian period, as may be demonstrated from our literary sources. » — MUSIL 1927, p. 183 : « we sighted to the north-northwest the ºalebijje ruins and to the north-northeast the outlet of the ancient irrigation canal of al-Masrân, through which water was once led along the foot of the øarmû·ijje escarpment, which shut in the alluvial plain of al-Kebar on the east. » p. 184 : « On the left bank south to the defile are the Zelebijje ruins, just below which the ancient canal of al-Masrân issued from the Euphrates and from which a patch of flood plains extends as far south as the outlet of this canal. » — LAUFFRAY 1983, p. 56 : « En aval du Khanouqa et de Zalabiyya, le canal de Sémiramis d’Isidore de Charax demeure visible . Sur la carte de Chesney il est représenté très conventionnellement par un tracé rectiligne et une tradition locale lui attribue un prolongement jusqu’au Khabour. Kiepert le connaît sous le nom d’al-Medschri ; il lui donne un embranchement se dirigeant vers le sud et le prolonge au-delà sur quelques kilomètres. Musil le désigne sous le nom d’al-Masrân. Il apparaît nettement d’avion. Le point de départ se situe au pied du plateau, au point où 221 221 la coulée basaltique s’écarte du fleuve et où la piste moderne commence à l’escalader en direction de Zalabiyya. Une levée de terre longe la prise d’eau. Actuellement cette prise est à plusieurs mètres au-dessus du niveau des basses eaux. Isidore de Charax indique que, pour y faire entrer l’eau de l’Euphrate, il avait fallu établir une digue. Des blocs de basalte qui s’avancent dans le lit du fleuve pourraient être un vestige de cette digue […]. Le canal suit tout d’abord le ºamâd, puis s’en détache et contourne vers le sud un piton détaché du plateau d’Icharet al-‘Abboud. Environ 2 km au sud-est, il se perd dans les cultures modernes, puis réapparaît par tronçons sur au moins 18 km. Il alimentait les cultures de plusieurs agglomérations antiques situées entre son tracé et le fleuve. La principale, Kasra […], voisine ou correspond à la ‘Oumm Redjeba de G. Bell. Ses fossés étaient alimentés par une dérivation du canal, notée par Kiepert. […] Le canal devait donc être demeuré en usage au VIe siècle. » p. 75 : « La prise d’eau de ce canal se trouve à environ 300 m en aval du mur sud de Zalabiyya. […] Actuellement l’eau ne peut plus y pénétrer en période d’étiage et une digue, dont il subsiste des blocs de basalte dans le lit du fleuve, devait élever le plan d’eau dans l’antiquité. » p. 75, n. 23 : « Des sondages ont permis de suivre la digue sur presque les trois quarts de la largeur du fleuve. Les bateliers se plaignaient de la gêne qu’elle constituait. À l’étiage les bateaux s’y échouaient. » Fonction du canal et datation Comme pour le Nahr Dawr¬n se pose ici le problème de savoir quelle était la fonction première du Nahr Sémiramis. Les arguments évoqués à propos du premier sont ici valables, si l’on excepte celui relatif à l’alimentation en eau par le Khb‚r. Encore faut-il souligner que la présence d’un seuil en tête du Nahr Sémiramis limitait l’impact des fluctuations de niveau de l’Euphrate sur le débit du canal. En revanche, la longueur du canal (environ 80 km), sa position fréquente sur les glacis ou les terrasses pléistocènes, le fait qu’il propose une voie d’eau aisée à emprunter et notablement raccourcie (80 km au lieu de 120 km par le fleuve) vont bien dans le sens d’un usage pour la navigation. Un autre argument est que la trace repérée dans notre secteur (notamment c a r t e h . - t . I, carré D3) est creusée dans la terrasse pléistocène : les eaux canalisées dans le chenal ne pouvaient donc guère servir à l’irrigation, sauf si l’on suppose qu’elles étaient reprises par des machines élévatoires (chadouf, nasba, gharraf, etc.) dont nous n’avons retrouvé aucune trace, ou qu’elles étaient conduites vers l’aval, dans la région de Buseire. Cette dernière hypothèse est peu probable, sinon absurde, l’irrigation de ce dernier secteur étant plus facile et plus efficace à partir du Khb‚r. Enfin, la présence, ici attestée, d’un seuil dans l’Euphrate, à la prise du canal, implique une impossibilité de la navigation sur le fleuve, au moins durant toute la saison des basses eaux, sinon en période d’eaux moyennes. Le témoignage d’Isidore de Charax au Ier s. apr. J.-C. le confirme. Ce constat nous permet d’affirmer 222 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT que, durant la période de fonctionnement du canal, que l’on peut supposer avoir duré plusieurs siècles, la navigation sur le fleuve était soit interrompue pendant la majeure partie de l’année — ce qui est fort peu probable —, soit pratiquée sur le canal lui-même. Nous n’avons que peu d’éléments directs pour dater le creusement et le fonctionnement de ce canal dont seul le tronçon aval se trouve dans la zone prospectée. Plusieurs sites se trouvent à proximité de son tracé. Mais ils sont aussi situés sur le rebord de la terrasse pléistocène qui domine directement la vallée de l’Euphrate. À l’exception de Hatla 1 (3 3) et 3 ( 2 0 7) , ils ne sont pas très éloignés du plus proche paléoméandre et ne peuvent donc pas être considérés comme directement dépendants du canal pour leur approvisionnement en eau. Sur deux d’entre eux, un puits a été repéré. Il est donc difficile de lier automatiquement le fonctionnement du canal aux périodes d’occupation de ces sites. Néanmoins, la forte implantation humaine dans ce secteur de la rive gauche de la vallée à l’époque romaine tardive, pendant laquelle sept sites au moins sont occupés, nous incite à penser que le canal fonctionnait à cette époque ; comme le dit J. Lauffray, « le vieux canal de Sémiramis était certainement encore en service et entretenu 5 ». Si aucun des auteurs des Ve et VIe s. ne fournit le moindre témoignage, il semble que le récit par Malalas de l’expédition de Julien 6 puisse nous donner un indice pour le IVe s. ; il rapporte en effet qu’en 363, la flotte qui descendait la vallée « arriva dans l’Euphrate » à Circesium, laissant donc supposer qu’en amont de cette place forte la flotte ne naviguait pas sur le fleuve. La seule alternative est qu’elle emprunta le canal. Auparavant, et c’est la seule certitude que nous pouvons avoir pour ce canal, son fonctionnement est attesté pendant l’époque classique, au Ier s. de notre ère. Sa prise est en effet citée et localisée par Isidore de Charax : « là (à Basileia = Zalab¬ya) se trouve le canal de Sémiramis » 7. Cette mention pourrait toutefois attester un fonctionnement dès le IIe s. av. J.-C., si, comme le pensent certains historiens 8, ce texte reprend effectivement un document parthe de cette époque. La dénomination de ce canal renvoie à la reine Sémiramis. Y a-t-il un fondement historique et le canal seraitil de l’époque néo-assyrienne ? Sémiramis est en effet identifiée à Sammuramat, une reine assyrienne qui exerça la régence du royaume d’Assyrie à la fin du IXe s. av. J.-C. pendant la minorité de son fils. Aurait-elle réellement fait 11 11 11 11 115 - LAUFFRAY 1983, p. 43, n. 13. 116 - Cf. annexe 3, texte 42. 117 - Cf. annexe 3, texte 41. 118 - W. W. Tarn (1984, p. 54-55) pense que l’original remonterait à la période faste du règne de Mithridate II, vers – 110/– 100. Cette datation est contestée par M.-L. Chaumont (1984, p. 66). 119 - ALBRIGHT et DOUGHERTY 1926, p. 26. 120 - De plus, nous n’avons pas fait de reconnaissance complète du tracé de ce canal, nous limitant au secteur aval et à la prise d’eau. Des informations intéressantes peuvent se trouver dans la zone inexplorée. creuser ce canal ? Ou bien est-il l’un de ces ouvrages grandioses que la tradition gréco-romaine a attribués à cette reine légendaire parce qu’ils frappaient l’imagination par leur gigantisme et leur ancienneté réelle, mais indéterminée ? Peut - on dès lors penser , avec W . F . Albright et R. P. Dougherty 9, qu’il a été construit avant l’époque assyrienne ? C’est une éventualité, mais nous n’avons aucun élément concret pour en juger 20. 11 1 LE SYSTÈME DES GRANDS CANAUX DU BRONZE MOYEN Les archives de Mari fournissent un certain nombre d’informations concernant les canaux qui fonctionnaient aux XIXe et XVIIIe s. av. J.-C. et sur les soucis que leur entretien procurait aux gouverneurs des différents districts . Les rapports adressés au roi mentionnent ainsi l’existence de plusieurs aménagements, qui témoignent de l’ampleur du système qui existait alors. Plusieurs propositions d’identifications 2 ont été faites ; les plus élaborées sont celles de J.-M. Durand, qui s’appuie sur la documentation textuelle et sur les premiers résultats publiés de notre prospection. Le premier constat est qu’il est très difficile de faire coïncider les textes et le terrain. Comme pour les sites, l’identification des canaux mentionnés dans les archives de Mari est un problème complexe. La documentation dont nous disposons est lacunaire. Nous ne pouvons nous appuyer que sur les documents retrouvés, et publiés ; de plus, cette documentation écrite ne renseigne guère que sur les incidents qui affectent les aménagements, et non sur leur organisation et leur mode de fonctionnement, qui restent en fin de compte obscurs 22. En outre, les indications données sont loin d ’être explicites, rendant de ce fait nombreuses les interprétations possibles. On ne donnera ici qu’un exemple de la diversité des traductions possibles pour un même texte. Une lettre du gouverneur de Qaflflunân (ARM XIV 13) a été successivement traduite ainsi : 1) « le Habur, comme le canal I·im-YahdunLim et comme le canal d’IGI-KUR irrigue (le pays) » ; 2a) « le Habur, comme le canal I·im-Yahdun-Lim et comme le canal d’IGI-KUR est en crue » et b) « … est en état d’irriguer » ; 3) « le(s eaux du) Habur, que ce soit dans le canal I·îm-Yahdun-Lim ou que ce soit dans le Habur (dIGI.KUR) lui-même sont en crue » ; 4) « le Habur, tout comme le canal I·îm-Yahdun.Lîm et le canal de Hubur, fait partie de notre système d’irrigation » 23. S’y ajoute la 1 1 1 1 121 - KUPPER 1952, 1988 ; GRONEBERG 1980 ; KLENGEL 1980 ; DURAND 1990 a et 1998, chap. XI. 122 - Cf. DURAND 1990 a, p. 102. 123 - 1) ARM XIV 13 (traduction M. Birot) ; 2a) DURAND 1990 a, p. 125 et 2b) ibid., n. 94 ; 3) LAFONT 1992, n. 24 ; 4) DURAND 1998, 804, p. 609. Les difficultés de lecture, de traduction et d’interprétation sont bien illustrées dans les commentaires de la nouvelle traduction publiée de certains textes, comme ARM VI 5 (DURAND 1998, p. 597, n. a) ou ARM XIII 124 (ibid., p. 617 n. c : « le sens ne m’est pas clair. Il serait excellent de trouver après íd-da un nom de canal ou de rivière »). Avant-Propos 223 Les aménagements hydrauliques difficulté à traduire et à interpréter un vocabulaire technique ; il n’est pas toujours facile de discerner la réalité à laquelle correspond un terme , de comprendre le mode de fonctionnement d’une installation ni même de reconstituer le scénario d’un incident 24. À ces difficultés vient s’ajouter le fait qu’un même canal semble avoir eu des noms différents selon les tronçons : « il est vraisemblable que le terme générique recevait des dénominations locales en fonction des endroits par où il passait » 25 ; ainsi, le canal d’irrigation de l’alvéole de Mari aurait eu le nom générique de « Canal-de-Mari » et des appellations locales comme « râkibum de Zurmahhum 26 » pour sa partie la plus en amont et « râkibum du wadi de Dêr » pour sa partie la plus en aval ; ce même canal aurait aussi été appelé « canal d’IGI-KUR » 27. Il semble aussi qu’un même toponyme pouvait recouvrir deux réalités différentes : dIGI-KUR serait à la fois le canal évoqué cidessus, nommé d’après « un lieu-dit de la rive droite de l’alvéole » de Mari, et le Habur lui-même 28. Quant au canal de Zurmahhum, il serait aussi attesté en rive gauche. On comprendra dès lors que nous resterons prudents dans nos propositions d’identification des canaux. L’analyse des textes a permis à J .-M. Durand de reconnaître, pour l’époque paléobabylonienne, trois grands aménagements 29 : le « canal I·îm-Yahdun.Lîm […] qui va de Dêr ez-Zor à Tell Ashara » ; le « canal de Mari » ou « canal de Hubur », « rakibum ayant sa prise dans la partie sud du district de Terqa, mais alimenté aussi par le Wadi esSouab et celui d’Abu-Kemal » ; le « canal du Habur » ou « Habur », « rakibum qui va au moins jusqu’à la hauteur de —uprum (Tell Abu Hassan) ». Nous ne reviendrons pas sur le canal I·îm-Yahdun.Lîm dont nous avons proposé ci-dessus qu’il corresponde au canal de l’alvéole de M¨hasan. Nous ferons simplement part de quelques réflexions que nous suggère la lecture de plusieurs textes concernant le « canal de Mari ». 1 1 1 1 1 1 Le « canal de Mari » Tel qu’il vient d’être présenté, ce « canal de Mari » serait à identifier avec le canal d’irrigation de l’alvéole de Tell Hariri ; la dénomination en serait logique en raison de la situation de ce canal, dont il convient toutefois de rappeler d’une part que la prise ne peut être que dans l’alvéole qu’il parcourt, et non dans l’alvéole amont, et d’autre part qu’il 124 - À ce titre, la reconstitution de la « nuit dramatique à Mari » (LAFONT 1992 ; annexe 3, texte 11) soulève un grand nombre de questions relatives au lieu de l’incident, à la chronologie des faits rapportés, au contenu des actions effectuées et à leur enchaînement. Aucun des commentaires qui ont été consacrés à ce texte n’apporte de solution vraiment satisfaisante (DURAND 1990 a, p. 136-137 ; LAFONT 1992, 1993 ; DURAND 1998, no 813). 125 - DURAND 1990 a, p. 127. 126 - DURAND 1998, 705, p. 455, n. k. 127 - DURAND 1990 a, p. 125-127. 223 est peu probable qu’il soit alimenté aussi par les oueds latéraux. À la lecture des textes, cette identification ne paraît cependant pas évidente. Une lettre de Sûmû-Hadû 30 pourrait fournir des indices en vue d’une autre localisation. Sûmû-Hadû, dont on nous dit qu’il était gouverneur de Saggarâtum, nomme deux grands canaux : le canal I·îmYahdum.Lim qui arrose le district de Saggarâtum et alimente les villes de Samânum, Terqa, Rasayyûm, Kirêtum et Kulhîtum ; le canal-de-Mari qui arrose le district de Mari. Des villes mentionnées le long du premier, nous pouvons déduire que le canal I·îm-Yahdum.Lim arrosait le district de Terqa. Nous connaissons par ailleurs les limites approximatives de chacun de ces trois districts 3 : — le district de Terqa se limite à la rive droite et jouxte celui de Saggarâtum au nord et celui de Mari au sud ; — le district de Mari s’étend sur les deux rives ; en rive gauche, il jouxte celui de Saggarâtum au nord ; — le district de Saggarâtum s’étend lui aussi sur les deux rives ; en rive droite, il jouxte le district de Terqa, en rive gauche celui de Mari. La limite avec ce dernier n’est pas connue avec précision, mais doit se trouver quelque part sur la rive gauche, à un resserrement de la vallée, peutêtre vers l’actuel village de Darnaj, un peu en amont de Terqa sur l’autre rive. Dans sa lettre, Sûmû-Hadû proteste contre l’envoi, vers le canal-de-Mari, de ses hommes pendant que les gens de Terqa iraient s’occuper du canal I·im-Yahdun.Lim. Cette protestation n’est pas simplement due au fait que ses gens ont déjà commencé à travailler sur ce dernier. Si le canal-de-Mari est celui qui arrose l’alvéole de Mari en rive droite, la demande du roi paraît absurde et l’on comprend très bien la réaction de Sûmû-Hadû : pourquoi en effet faire aller les gens de Saggarâtum à plus de soixante kilomètres en aval 32 pendant que ceux de Terqa, qui sont nettement plus proches de Mari, iraient travailler au nord de chez eux sur un tronçon amont du canal I·im-Yahdun.Lim ? De plus, ne serait-il pas plus simple de trouver à Mari même la main-d’œuvre nécessaire à ces travaux ? La population y est plus nombreuse et le lieu d ’intervention en serait beaucoup plus proche, inférieur en tout cas à 20 kilomètres. Une hypothèse nous semblerait pouvoir expliquer à la fois la demande du roi et la protestation de Sûmû-Hadû : que le canal-de-Mari soit sur la rive gauche et corresponde 1 1 1 1 128 - DURAND 1997, p. 246. 129 - DURAND 1998, p. 578. 130 - Lettre A. 454, partiellement publiée (DURAND 1990 a, p. 124 ; cf. annexe 3, texte 12). 131 - DURAND 1990 a, p. 116. 132 - Nous avons vu précédemment que la prise du canal de l’alvéole de Mari ne peut se trouver sur le territoire de Terqa. Elle se situe obligatoirement dans l’alvéole de Mari. 224 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT au Nahr Dawr¬n. Dans ce cas, le canal, avant de pénétrer dans le district de Mari, passerait effectivement par celui de Saggarâtum. Dès lors, le roi demanderait à Sûmû-Hadû d’aller travailler sur un secteur du canal-de-Mari situé dans son district, à une distance effectivement plus proche de Saggarâtum que de Mari. Sûmû-Hadû qui a déjà commencé les travaux sur le tronçon du canal I·im-Yahdum.Lim situé dans son district protesterait quant à lui à juste titre : plutôt que de modifier le travail en cours, il lui semble plus efficace d’envoyer sur le canal-de-Mari les gens de Terqa, qui de toute façon doivent se déplacer et qui n’en sont guère éloignés, puisque ce canal passe juste en face de leur territoire. Quitte à se déplacer et à intervenir hors de leur juridiction, les gens de Terqa pourraient traverser l’Euphrate et aller sur la partie amont du canal-de-Mari. La protestation de Sûmû-Hadû serait donc guidée non tant par des raisons de compétences territoriales que par un souci de rationalisation et d’efficacité du travail. Cette hypothèse semble corroborée par une lettre du gouverneur de Terqa qui mentionnerait, si la restauration proposée est exacte, une intervention commune des trois districts sur le canal-de-Mari 33. S’il s’agit effectivement du long canal de rive gauche et que le lieu de l’opération est à proximité de Terqa, l’intervention des trois districts devient tout à fait logique. Les contradictions évoquées ci-dessus au sujet de la double localisation de « dIGI-KUR » et du « canal de Zurmahhum » nous semblent dès lors pouvoir être partiellement résolues : ce dernier serait bien un tronçon du canal-de-Mari, en rive gauche ; une autre dénomination de ce canal-de-Mari serait dIGI-KUR, par ailleurs écriture idéogrammatique de Khb‚r qui sert à désigner le Nahr Dawr¬n 34. Il est remarquable d’ailleurs que deux de ces textes ( ARM XIV 1 3 et ARM XVIII 33) impliquent des gouverneurs de Qaflflunân, très en amont de Mari, sur le cours du Khb‚r et donc plus près du Nahr Dawr¬n. Cette proposition reste toutefois, nous le rappelons, hypothétique, dans la mesure où nous ne pouvons nous appuyer que sur les traductions des textes publiés. Elle semblerait impliquer que le « canal de Mari » ou « canal de Hubur » et le « canal du Habur » ou « Habur » ne feraient qu’un. En attendant de nouveaux textes qui permettront d’aller plus loin dans la reconstitution du système des canaux au Bronze moyen, un réexamen des textes nous semble nécessaire. 1 1 région. Cependant, de manière plus anecdotique, en tout cas plus ponctuelle, d’autres ouvrages ont pu être construits pour profiter de conditions ou de ressources particulières à tel ou tel secteur de la vallée. LES BARRAGES Ils sont peu nombreux dans la région étudiée, car ils sont mal adaptés aux contraintes particulières des grands fleuves , du moins avant que n ’aient été acquises les techniques modernes qui ont permis l’érection des grands ouvrages hydrauliques. Les exemples sont donc rares, même sur les oueds affluents, où ce sont surtout les conditions particulièrement rudes de l’environnement local qui ont limité les implantations, donc les aménagements. Les barrages sur l’Euphrate et le Khb‚r Ils représentent des cas à part puisque ceux qui nous sont connus s’apparentent plus à des seuils qu’à de véritables barrages. Il en va ainsi du celui du Nahr Sémiramis, évoqué ci-dessus, aussi bien que de ceux des norias (cf. ci-dessous) qui représentent les seuls autres exemples repérés sur les cours d’eau pérennes de la région. Les ouvrages que l’on peut être amené à restituer, hypothétiquement, à la prise des différents canaux évoqués ci-dessus, et notamment à la prise des canaux d’irrigation, devaient être peu ou prou du même type. Les déplacements des lits mineurs ne nous laissent que peu de chances de les retrouver, si tant est qu’ils n’aient pas été totalement détruits par le flot. D’après C. Ritter, ces seuils, qui présentent un danger important pour la navigation en période d’étiage, semblent avoir été autrefois relativement nombreux. Il précise à propos de l’un d’entre eux, signalé au XVIe s. par L. Rauwolff sur l’Euphrate entre Deir ez Z¨r et Buseire : « hier war wieder eine Stelle, wo sie (die Arabern) Steine hineinversankt hatten, in der Absicht, daß die Schiffe da scheitern möchten. Dies war denn wol wiederum ein beim niederm Wasserstande gefährlicher Querdamm, oder Zifr, wie solche bei Zelebi und Tabuz, als diese noch reich bevölkert waren, und auf dem Euphrat weiter abwärts bis Hit an Zahl noch sehr zunehmen , wie dies die anliegenden antiken Reste entschieden zeigen. » 135 Les canaux représentent incontestablement les aménagements les plus communément réalisés dans la C’est à l’un de ces seuils que se trouva confrontée la flotte de Julien en 363 apr. J.-C. quelque part en aval de notre secteur d’étude : « le fleuve ayant en effet brutalement débordé, des cargos de blé sombrèrent, à la suite de la rupture des barrages édifiés en blocs de rochers pour servir à répandre et retenir tour à tour les eaux d’irrigation. Cet accident fut-il dû à la traîtrise ou au volume du débit des eaux courantes ? Il fut impossible de le savoir » 36. 133 - DURAND 1998, no 784, p. 583. 134 - DURAND 1998, p. 578 et 631. 135 - RITTER 1844, p. 693. 136 - AMMIEN MARCELLIN XXIV, I, 11. LES AMÉNAGEMENTS MINEURS OU PONCTUELS 1 Avant-Propos 225 Les aménagements hydrauliques 225 Sur les oueds principaux, seuls des ouvrages de grande dimension, en maçonnerie, pouvaient permettre de limiter efficacement les écoulements de surface et ceux de la nappe elle-même. C’est ainsi que, sur le Wdi Dheina, fut construit un barrage (7 7) 37. Il fut implanté juste en aval d’une barre rocheuse qui rétrécit le lit de l’oued, barre dont on devine qu’elle se poursuit sous les alluvions, créant une poche naturelle où l’eau reste piégée. En mai 1985, la nappe n’était qu’à 2 m de profondeur dans les alluvions accumulées à l’arrière de la barre rocheuse. C’est cette structure géologique qui, en augmentant les capacités de rétention de l’eau en cet endroit, a autorisé les premières implantations, probablement dès le PPNB (Dheina 3, 8 2). Les bédouins continuent d’ailleurs à y venir pour chercher de l’eau (cf. chap. I, fig . 22). Les dimensions précises du barrage, partiellement enfoui sous des alluvions, ne nous sont pas connues. Orienté SO-NE, l’ouvrage est visible sur une longueur de 250 m (fig . 38 a et 39). Il s’appuie, en rive gauche, sur une butte de galets ; l’oued qui s’est déplacé vers sa rive droite l’a peu à peu sapé et en a détruit l’extrémité sud. La hauteur maximale visible est de 2,8 m ; elle est de 1,7 m à la cassure (fig . 38 d). L’alluvionnement est en effet important en amont du barrage et les sédiments ont comblé le lac de retenue. De plus, des dépôts éoliens masquent partiellement l’ouvrage. Celui-ci, large d’environ 2 m à la base (du moins à son extrémité droite, où nous avons pu l’observer), repose sur un lit de galets d’épaisseur non déterminée. Il est construit en blocs de dalle calcaire qui proviennent des surfaces du plateau encadrant ; ces blocs, grossièrement taillés, sont liés par un mortier à base de chaux très graveleux et très résistant, sans tuileau ni cendre (fig . 40). À 1,10 m au-dessus de la base, une assise de réglage correspond à un retrait sur la face aval : dans sa partie supérieure, la largeur du mur n’est plus que de 1,5 m. Plusieurs aménagements spécifiques sont visibles. Sept contreforts ont été repérés, de taille et de forme différentes, et, pour ce qui a pu être observé, inégalement répartis le long de la face aval (fig . 38 a) : à 5 m de l’extrémité de rive gauche, un contrefort semi-circulaire de 2 m environ ; 55 m plus loin, un petit contrefort quadrangulaire de 2 m de long et 1,3 m de large ; à 22 m du précédent, un petit contrefort semi-circulaire de 1 m de diamètre ; trois autres identiques, à 35 m du précédent, puis à 30 m, enfin à 35 m ; 28 m plus loin, et à 40 m de l’extrémité de rive droite, un contrefort quadrangulaire de 4 m de long et 1,3 m de large. Entre les deux derniers contreforts, à environ 50 m de l’extrémité droite, un déversoir a été repéré et nettoyé en surface sur 4,5 m de large (fig . 38 b, c et 4 1) ; il s’agit d’un plan incliné, constitué de ciment incluant de gros galets ; la partie amont conservée du déversoir présente une surface lissée. Sur ce déversoir, un massif de blocs, lui aussi revêtu de ciment, forme un second plan incliné, décalé vers l’aval. Il s’agit peut-être d’une réfection. Le barrage est aujourd’hui ruiné et ne retient plus l’eau. Les conditions dans lesquelles se produisent les crues des oueds font que leur flot charrie un gros volume d’alluvions, d’où les atterrissements dans les retenues, la réduction de leur capacité de stockage et finalement la rupture des barrages établis sur leurs cours. On peut toutefois se demander s’il s’agissait bien d’un barrage de retenue. En effet, le danger de comblement devait être connu. De plus, il n’y avait pas, dans ce secteur, de raisons de construire un imposant ouvrage du type de celui de Harbaqa, dont on peut penser qu’il avait également pour raison d’être d’affirmer la puissance, que ce soit celle de Rome ou de Palmyre. Il lui manque d’ailleurs la monumentalité nécessaire à une telle démonstration. Peutêtre faut-il imaginer des ambitions plus modestes, exprimées par un ouvrage destiné davantage à bloquer les écoulements et à favoriser l’infiltration des eaux dans les alluvions qu’à stocker cette eau à ciel ouvert avec tous les inconvénients — notamment l’évaporation — que cela peut représenter dans des régions au déficit hydrique important. Dans ce cas, l’aménagement aurait eu pour fonction de permettre la mise en culture des surfaces alluviales, situées en amont immédiat du barrage 38 et enrichies régulièrement par les apports terreux des crues. Il serait alors à rapprocher, dans sa conception du moins, des petits barrages de terre édifiés sur les plus petits oueds de la région. 137 - GEYER et MONCHAMBERT 1987 b, p. 324 ; GEYER 1990 a, p. 77 ; CALVET et GEYER 1992, p. 107-112. Ce barrage a d’abord été dénommé « barrage du Wadi es-Souab », du nom traditionnel de cet oued. Il avait déjà été repéré par V. Müller (1931, p. 11 et 13), sous le nom de barrage de Dokhna. 138 - Un tel mode de mise en valeur est attesté par exemple en Jordanie, à ºumayma (OLESON 1986), et est bien connu en Algérie (Ghardaïa). Les barrages sur les oueds affluents Les vallées des oueds affluents de l’Euphrate offrent des planchers aux sols alluviaux, certes peu évolués, mais assez profonds. Surtout, ils contiennent peu de gypse, car ils sont assez bien lessivés et drainés. Leurs potentiels agronomiques sont loin d’être négligeables d’autant que le toit de la nappe phréatique est souvent peu éloigné de la surface et même, éventuellement, subaffleurant, du moins en saison humide. Ceci posé, il convient de rappeler que les plus importants de ces talwegs peuvent être parcourus , en automne et au printemps , par des crues brutales et destructrices . La circulation de l’eau de la nappe, en direction de l’aval, a le mérite de limiter la concentration en sel, mais elle entraîne une baisse rapide et importante du niveau de l’inféroflux dès que l’alimentation par l’amont se tarit. Aussi l’homme a-t-il cherché à pallier cet inconvénient en aménageant quelques ouvrages, certes rares, mais qui ont joué, au moins localement, un rôle certain dans la mise en valeur. Le barrage du Wdi Dheina 1 1 226 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT a - Plan d’ensemble rive droite rive gauche C Déversoir 2 Déversoir 3 Déversoir 4 D Déversoir 1 0 b - Déversoir 1 A zone non dégagée zone non dégagée ligne d’usure 0 B 5m 1 murs et contreforts 2 enduit lissé 3 enduit de galets et graviers 4 réparation c - Déversoir 1 (coupe A-B) A B enduit lissé niveau moyen de la terrasse niveau moyen de la terrasse assise de réglage réparation ligne d’usure béton de galets et graviers zone non dégagée amont 0 aval 1m d - Rupture sud (coupe C-D) C D amont aval 0 Fig 1m . 38 - Plans et coupes du barrage du Wdi Dheina (n o 77 , hors carte). 10 m Avant-Propos 227 Les aménagements hydrauliques 227 C’est donc avec les trois sites qui se trouvent un peu en amont qu’il convient de mettre en rapport ce barrage. Deux d’entre eux ont été occupés très anciennement, apparemment dès le Néolithique pour Dheina 3 (8 2), dès l’époque d’Uruk pour Dheina 4 (8 3) ; ces deux sites ont aussi connu une occupation au Bronze ancien. Le barrage ne date cependant pas de ces hautes époques ; la présence de mortier à base de chaux n’autorise qu’une datation plus récente. Les deux sites de Dheina 2 (8 1) et 3 (8 2), occupés à l’époque islamique, pourraient permettre de dater cet ouvrage de cette période. Il n’est cependant pas impossible d’envisager qu’il ait été construit à l’époque romano-parthe, lorsque Doura-Europos dominait la région. Une ressemblance du mortier utilisé dans les bâtiments de cette ville avec celui du barrage pourrait aller dans ce sens. Les deux tessons retrouvés à proximité du barrage n’apportent aucune précision, car le seul qui soit identifiable 39 est un fragment de panse de céramique côtelée qui peut dater de l’époque romaine comme de l’époque islamique. 1 Les barrages de terre Fig. 39 - Le barrage du Wdi Dheina vu vers le nord-est. Sur les plus petits des oueds ont été édifiés des barrages en terre, petites retenues dont le rôle est donc de bloquer l’écoulement des eaux de crue et de les contraindre à s’infiltrer dans les alluvions, allongeant ainsi la période végétative des plantes cultivées sur les terres situées en amont immédiat de l’ouvrage. Ils permettent une culture très localisée, d’autant plus aléatoire que l’oued et son bassinversant sont de taille restreinte. Selon leur localisation et l’importance des réserves en eau ainsi générées, ils autorisent les emblavages, très localement de blé, le plus souvent d’orge. Lors de « mauvaises années », lorsque la réserve se révèle insuffisante à assurer le développement de l’épi, le procédé assure au moins une pâture supplémentaire, sur le blé ou l’orge en herbe. Il n’est pas impossible non plus que certains de ces barrages aient été édifiés pour créer des réservoirs saisonniers pour les moutons. Dans la mesure où nous ne les avons pas relevés systématiquement , ils ne figurent pas sur nos cartes. Nous en avons rencontré notamment en rive gauche, aux débouchés des oueds de la région d’Es S‚sa (carte h .- t . V). Cette technique, simple et aisée à mettre en œuvre, était toujours utilisée naguère. On peut supposer qu’elle est très ancienne et qu’elle a, depuis fort longtemps , joué un rôle dans les Fig. 40 - Détail du parement amont du barrage du Wdi Dheina. 139 - Annexe 2 (1 73 1). 228 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT . 41 - Détail d’un déversoir du barrage du Wdi Dheina économies agropastorales pratiquées dans ou à proximité de la vallée de l’Euphrate. ❚ barrage et passes de norias ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Nahr ❚ ❚ 200 m ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ N ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ El Lawziye 1 (134) ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ El Lawziye 2 (135) ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 194,6 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ El Baghdadi (131) ❚ ❚ ❚ Q0a ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 194,6 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Q0a ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Fig ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ 1 1 ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚❚ Er Rashdi 1 (132) ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Les norias du Khb‚r ❚ El Masri (133) ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Rweshed 2 (130) ❚ ❚ ❚ 0 195,2 ❚ ❚ el K habu r 197,8 1 À l ’ époque où H. Charles fit ses relevés dans la région, plus de trente installations de norias 4 étaient encore fonctionnelles ❚ canal moderne en remblai ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Les vestiges de norias sont incontestablement plus nombreux sur le Khb‚r , rivière au débit tempéré par ses sources karstiques que sur l’Euphrate qui est plus sujet à de fortes variations de son flot. De plus, le premier bénéficie d’un lit, certes à méandres, mais relativement stable, car souvent bloqué dans ses divagations par des affleurements de galets qu’il a bien du mal à attaquer 40, moins changeant en tout cas que celui de l’Euphrate. ❚ LES NORIAS ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ ❚ Fig sur le bas Khb‚r, d’Es Suwar à la confluence avec l’Euphrate, soit sur environ 45 km à vol d’oiseau. Lors de nos prospections, en 1985, sur un tronçon d ’ un kilomètre du bas Khb‚r , peu en amont de la confluence, six installations de norias étaient toujours visibles (f i g . 4 2), dont quatre en rive gauche : Er Rshd¬ 1 (1 3 2), El Masr¬ (1 3 3), El Lawz¬ye 1 (1 34) et 2 (1 35 ; fig . 43) ; et deux en rive droite : Rweshed 2 (1 30), El Baghdad¬ (1 3 1). Une seule roue tournait encore, à Rweshed 2, les autres installations ayant été abandonnées au début des années 1960 au profit des pompes motorisées. Le mode de construction est le même pour toutes ces installations. Un barrage - seuil , construit , pour . l’essentiel, en blocs de dalle calcaire bruts, liés au mortier, barre le cours de la rivière. Une ou plusieurs passes sont aménagées, dans lesquelles est placée une roue ; celle-ci est actionnée par le . 42 - Les norias du bas Khb‚r (carte II, carré G6, n 140 - CALVET et GEYER 1992, p. 47. 141 - Voir CHARLES 1939, figure insérée entre les pages 58 et 59. Pour une os 130 à 135) . description plus détaillée de ces norias, voir CHARLES 1939, p. 139 CALVET et GEYER 1992, p. 46-52, DELPECH . 1997. et al sq ., Avant-Propos 229 Les aménagements hydrauliques 229 Comme en témoigne M. F. von Oppenheim 42, l’île de Deir ez Z¨r était encore irriguée dans la dernière décennie du XIX e s . par plusieurs systèmes différents. La noria de Deir ez Z¨r 2 (1 29) était le plus important de ces aménagements (fig . 44). Le barrage est formé d’un long mur, perpendiculaire au cours d’eau, qui s’avance dans l’Euphrate à partir de la berge est de l’île de Deir ez Z¨r ; un seuil en blocs de basalte prolonge la construction dans le lit du fleuve. Il semble possible de définir deux phases de construction. Le premier ouvrage, qui devait supporter une installation de noria à roue unique, a été construit entièrement en briques Fig. 43 - Vestiges de l’installation de noria à El Lawz¬ye 2 (carte II, carré G6, no 135). cuites, bien appareillées, de modules divers, mais généralement de 25 cm courant , qui se trouve renforcé par le barrage . Cinq x 25 cm. Il s’avance d’un jet dans le fleuve avec quatre installations avaient au moins trois roues, celle de Rweshed 2 contreforts semi-circulaires plaqués du côté aval. Une phase n’en ayant que deux. À deux reprises, un même barrage- de réfection, plus rudimentaire, peut être observée ; des blocs seuil permettait une double batterie de roues, une sur chaque de basalte mal équarris et maçonnés sont surajoutés à la partie rive ; c’est le cas d’Er Rshd¬ 1 et de Rweshed 2 d’une part, ancienne, qui est percée en trois endroits pour permettre l’installation de roues dont les piles d’appui sont bien d’El Baghdad¬ et d’El Lawz¬ye 2 d’autre part. Dans plusieurs cas, des moulins étaient associés aux visibles. À Slih¬ye 2 (7 6), la noria, appuyée contre la berge norias, construits directement sur le barrage-seuil, au-delà des roues. Cinq ont ainsi été repérés, à El Masri, à El droite, assurait l’irrigation d’un lambeau de terrasse Q00. Six Lawz¬ye 1, à El Lawz¬ye 2 et à Er Rshd¬ 1 où l’on en trouve piles en briques cuites d’un module de 25 cm x 25 cm, deux sur le même aménagement. Les norias fonctionnaient au début du XXe s. comme H. Charles a pu l’observer. Elles sont vraisemblablement antérieures, mais nous ne disposons d ’ aucun élément pour préciser l’époque de leur construction. 1 Les norias de l’Euphrate Plusieurs norias existaient sur l’Euphrate. Nous avons repéré trois installations, à Deir ez Z¨r 2 (1 29), à Slih¬ye 2 (7 6) et à Haj¬n 3 (1 5 5) : cette dernière, actuellement au milieu du fleuve , a été observée par Ch . Héraud à l ’ occasion de sa descente du fleuve en 1922 ; elle avait alors au moins six piles, dont une surmontée d’une petite tour. Fig. 44 - Vestiges de l’installation de noria à Deir ez Z¨r 2 (carte I, carré A2, no 129). 142 - OPPENHEIM 1899, p. 333 : « Die Insel ist wohl angebaut und wird von mehreren Wasserschöpfwerken, N‘‚ra und ird bewässert » ; p. 335 : « Um den Wasserdruck zu verstärken, ist gewöhnlich ein Steindamm stromaufwärts in den Fluss hineingebaut. Die N‘‚ra von ed Dër sahen gebrechlich aus, weil die hier wachsenden Pappeln und Tamarisken kein geeignetes Bauholz liefern » ; voir aussi la photo p. 333. 230 B. GEYER et J.-Y. MONCHAMBERT maçonnées avec un mortier à base de gravier , de chaux et de cendre , délimitent cinq passes où se trouvaient les roues (fig . 45). Deux de ces piles sont encore conservées sur toute leur hauteur, tandis que celle qui est au plus loin dans le lit du fleuve est presque entièrement détruite. On peut ajouter six autres installations signalées par Ch. Héraud 43 : un peu en amont de la confluence avec le Khb‚r (piles sur la rive droite), à Taiyni (6 7) où des traces d’un aménagement sont encore visibles, mais ne sont plus identifiables , à El ‘ Ashra (5 4) , probablement à l’emplacement du pont actuel et désormais non visible, en aval de Slih¬ye (piles dans le Fig. 45 - Vestiges de l’installation de noria à Slih¬ye 2 (carte IV, carré M15, no 76). fleuve , installation différente de Slih¬ye 2), un peu en amont d’El Kishma (piles dans le formation Q00). On en trouve quelques-uns non loin de sites, fleuve) et à 4 km en amont d’Abu Keml (piles en briques par exemple à El Jurdi Sharqi où le sapement latéral de dans le fleuve). Signalons enfin la présence, à El Graiye 1 l’Euphrate a détruit un puits d’un diamètre interne de 90 cm, (4 4), d’une construction en briques cuites qui pourrait être construit en briques cuites jaunes d’un module de 24 x 16 cm. un moulin à aube. Au pied de la butte principale du site de Jed¬d ‘Aq¬dat 1 (9 2) se voit encore un puits en tabouks (fig . 46). Un puits moderne creusé dans la formation QII à côté du site de LES PUITS Shheil 2 (1 2 1) servait, en avril 1987, à une pompe dont le Les plus nombreux se trouvent dans les vallées des fort débit malgré une année sèche est l ’indice d ’une grands oueds affluents. Ils peuvent être soit simplement disponibilité d’eau toute l’année. Dans ce dernier cas, le foncés dans le fond du talweg, mais le cas, rare, n’a été faible taux de salinité constaté est l’indice d’un drainage observé que dans le Wdi Dheina, soit creusés dans les naturel efficace au sein de cette formation grossière. terrasses alluviales à proximité du talweg. La plupart sont maçonnés, construits en blocs de dalle calcaire conglomératique. Le plus souvent, des abreuvoirs leur sont associés . Plus de la moitié est abandonnée. Ils participent tous à l’économie nomade. Du fait de la salinité souvent élevée de la nappe phréatique de la vallée de l’Euphrate, les puits sont relativement rares sur les terrasses qui encadrent le fleuve . Très peu fréquents en rive droite sur la terrasse Q0a, où nous n’en connaissons qu’un seul, construit en tabouks et localisé peu au sud-ouest de Tell Hr¬m (3 0), ils sont un peu plus nombreux en rive gauche où, de manière générale, le drainage interne des formations Q0 est mieux assuré (a fortiori celui de la o 1 Fig. 46 - Puits à Jed¬d ‘Aq¬dat 1 (carte I, carré E4, n 92). 143 - HÉRAUD 1922 a et b. Avant-Propos 231 Les aménagements hydrauliques Témoignages — TAVERNIER 1712, vol. I, livre III : « (Entre Anna [Anah] et Mached-raba [Rahba]), il y a de ces puits qui sont si profonds qu’il est besoin de porter avec soi jusqu’à cinquante brasses de corde qui est toute ensemble forte et menue, avec un petit seau de cuir qui peut tenir environ six pintes. Il tient peu de place, parce qu’on le peut plier et il s’étend après comme une calotte quand on veut puiser de l’eau. » LES DIGUES Aujourd’hui fréquentes, mais non systématiques, et souvent mal entretenues, les digues protègent les secteurs particulièrement vulnérables aux inondations. On peut penser qu’elles ont été nombreuses par le passé : par nature directement exposées aux crues, elles ont mal résisté dès lors qu’elles n’étaient plus entretenues. Un seul exemple nous est connu, à Tell Guftn (2 3) : il doit sa préservation à la protection assurée par la masse du tell. Deux lignes de buttes s’allongent à l’abri du site, l’une vers l’est-sud-est, l’autre vers le sud (cf. fig . 5). Elles sont probablement des vestiges des digues qui protégeaient la zone des aménagements de prise du Nahr Sa‘¬d. Le relief n’est en tout cas pas naturel, puisque des coupes montrent un matériau d’apport. Cet aménagement a été réutilisé anciennement pour y implanter un cimetière. LES AUTRES AMÉNAGEMENTS Nous avons regroupé ci-dessous quelques exemples d’aménagements rares et qui n’ont donc qu’un intérêt anecdotique. Les levées À côté de Doura-Europos, sur le plateau, de longues levées de pierres apparemment non maçonnées et mêlées à de la terre délimitent trois vastes « enclos » (Slih¬ye 3, 1 53 ; cf. cartes h .- t . III et I V, carré L15). Hautes au maximum d’un mètre, ces levées sont ponctuellement interrompues par des sortes de « portes » en chicane, inégalement réparties sur leur longueur. Il s’agit d’ouvertures d’environ 14 à 16 m de long, plus rarement 11 à 12 m, en avant desquelles se trouve une petite levée, de longueur à peu près identique à celle de l’ouverture et distante de 7 à 12 m. La longueur totale de ces enclos avoisine les 4 km, tandis que leur largeur est d’environ 1 km. Figurant sur les cartes du service géographique de l’Armée (édition 1936), ces levées ont été 144 - TOLL 1946. 145 - Ces mêmes remarques empêchent aussi d’y voir les limites du camp d’aviation de l’armée française, comme le suggère P. Leriche (1993 b, p. 84, n. 17). 231 repérées par N. P. Toll 44, qui les interprète comme un mur de protection de l’armée perse contre d’éventuelles sorties romaines ; il ajoute cependant qu’il en existe d’autres un peu plus loin, qu’il ne comprend pas. Comme le laisse penser cette dernière remarque, cette interprétation est peu plausible en raison de la taille et de la forme des zones ainsi délimitées 45. Il ne peut s’agir non plus d’installations agricoles, puisque le plateau ne se prête guère à une mise en valeur agricole du fait de l’affleurement fréquent de la dalle calcaire. Il est plus vraisemblable que ces enclos aient servi de parcs à animaux, peut-être pour des chevaux. Étaient-ils en rapport avec Doura-Europos ? Ce n’est pas sûr, car à plusieurs reprises, les levées passent par-dessus de petites buttes qui semblent correspondre à des tumulus funéraires, comme ceux de la nécropole de ce site (22 a) ou du champ de tumulus de Slih¬ye 1 (1 7). Si ces levées ne sont pas avec certitude postérieures à la période d’existence de Doura, elles le sont en tout cas par rapport à la phase de creusement et d’utilisation des tombes, phase qu’il ne nous est cependant pas possible de dater. 1 1 Les qants La seule galerie drainante souterraine (qant ou foggara) repérée dans le secteur est celle de Sreij 2 (208), très courte, qui était greffée sur la source de ‘Ain ‘Ali, au pied du plateau de Shamiyeh. L’eau a dû servir à l’irrigation de quelques jardins. Elle apparaît actuellement au fond d’un trou de près de 3 m. Quelques aménagements maçonnés, sans doute anciens, sont visibles à proximité. Déjà repérée dans les années 1920 par V. Müller 46 qui signale un « aqueduc […] qui descend de Fouedja à l’Imam Ali », la qant a été partiellement détruite pour aménager un semblant de bassin où les gens viennent se baigner : il n’est pas impossible que la source, qui jaillit au pied du tombeau de Mazr ‘Ain ‘Ali (5 3), ait eu un caractère sacré. Plus en aval, une installation du même type semble avoir été repérée par V. Müller aux alentours de Tell Medk‚k (2 ). Il signale en effet un « aqueduc qui, coupant la piste de Deir à Abou Kémal, va vers Tell Medkouk » 47. Nous n’en avons pas retrouvé la moindre trace. En rive gauche, rien ne permet de discerner dans le paysage en amont de D¬bn 1 (Tell KraÌ, 6 44) les qants que G. Bell dit avoir vues et qui lui semblent être rattachées au Nahr Dawr¬n 48 : « though I did not see the Dawwarin, 1 1 1 its presence was clearly indicated by the lines of kanats (underground water-conduits) running in a general southerly direction—north-north-west to south-south-east, to be more accurate—across ground that was almost absolutely level. » 146 - MÜLLER 1931, p. 13. 147 - Ibid. 148 - BELL 1910, p. 530.